Tant pis pour l'amour, Sophie Lambda
A présent que je choisis les lectures dont je rends compte, j'avais décidé de passer celle-ci sous silence, à la fin de l'année dernière. Sujet trop brûlant. D'ailleurs quand on me l'a offert, pendant toute la soirée, je l'ai observé sur le coin de la table avec méfiance. Ou peut être avec une véritable trouille. Je pensais l'enfouir dans la bibliothèque en attendant un meilleur moment. J'aurais fait une excellente autruche, la vitesse de course mise à part.
Il s'agit d'un roman graphique autobiographique, qui raconte la relation toxique de l'autrice avec un manipulateur, qui l'a laissée en miettes. J'en ai lu la moitié le soir même. Puis j'ai mis du temps à le terminer.
Pour le compte rendu, j'ai changé d'avis plusieurs mois après ma lecture pour deux raisons.
La première, c'est que c'est un cadeau. D'une part on ne m'offre pas souvent des livres et d'autre part, on n'offre pas ce genre de livres-là comme on offre un best-seller de l'été. Parfois on offre des livres à la place d’échanges qu'on ne peut pas avoir. C'est une sorte de pacte de connivence qu'on accepte, quand on les ouvre. On peut faire ça avec une chanson, un dessin, une fleur...
J'en connais même qui communiquent avec des gâteaux. C'est tout un art. Si le biscuit est attrapé au vol avec un "cool merci" qui laisse une trainée de miettes négligentes, ça veut dire "je n'ai pas envie de t'entendre". Le "c'est très bon, merci", c'est un accusé réception, message reçu, pas de réponse à faire. Parfois le gâteau disparaît juste de la table et on en entend plus parler, toutes les interprétations restent ouvertes.
La seconde, c'est que celle qui me l'a offert est partie, déménagement, etc. la routine. Pour une fois, que ce n'est pas moi qui crée de l'éloignement ! Les personnes que j'apprécie sont systématiquement à l'autre bout du pays, voire du monde. On se dit qu'on va se revoir, on ne se revoit jamais ou alors ça demande une organisation de malade et ça finit par une engueulade sur AirBnb. Je n'ai pas dit mon dernier mot d'ailleurs...
Donc petit "deux", écrire, dans ces moments-là, c'est une façon de garder un lien.
Il y a même un petit "trois" bonus. Il y a une dizaine d'années, nous lisions chacune le blog de l'autre. A quelque chose qu'elle a dit, j'ai eu l'impression qu'elle s'en souvenait. Alors puisque nous avons ce livre en commun, soit. Disons-en quelque chose.
D'abord, que ça n'est pas une fiction, que le sujet est triste et dur, mais que tout est enrobé dans beaucoup d'humour (le co-narrateur est un ours en peluche) et que c'est un style de dessin que j'apprécie. Ensuite, c'est un habile mélange entre son expérience personnelle et une documentation issue des recherches en psychologie. ça donne un certain poids aux propos.
Petit guide de la manipulation : choisir un/e partenaire qui a des casseroles, une faible confiance en soi et une tendance à culpabiliser et ou qui traverse une période difficile (rupture, deuil, perte d'emploi). L'aider, la soutenir, la regonfler à bloc. Faire en sorte de construire une bulle de bonheur parfait et y enfermer son ou sa partenaire. L'isoler de ses amis sans jamais rien demander explicitement. Simplement lui pourrir la vie quand il est question de les voir. Par de petites "plaisanteries" répétées , sur le physique, le caractère, démolir peu à peu la confiance en soi de l'autre. Mentir, mentir souvent, pour tout et quand on se fait chopper, piquer une colère et expliquer que si l'autre n'avait pas si mauvais caractère, de si mauvaises réactions, il n'y aurait pas eu besoin de mentir. Tout retourner, semer le trouble et la confusion.
La première partie raconte toute son histoire personnelle, avec le détail de chaque étape. J'ai préféré la suite, plus en recul, tout ce qui concerne comment on se rend compte, comment on en sort. Qu'il faut forcément un regard extérieur, pour démêler le vrai du faux. Croiser les témoignages. Et dans les cas les plus sérieux, le regard d'un professionnel.
La double page "30 critères pour identifier un manipulateur" est une véritable invitation à cocher, pour les malade des listes comme moi ^^.
Quelques exemples au cas où ça pourrait servir, même si je pense qu'à l'inverse des vampires, ce sont des monstres qu'on ne voit que dans le miroir, une fois qu'on leur a tourné le dos : Culpabilise les autres, joue un rôle de victime, critique juge et met en doute la compétence des gens, ne communique pas clairement sur ses sentiments, ne supporte par la critique, s'échappe des conversations, menace de façon déguisée, ne tient pas compte des désirs des autres etc...
C'est la partie la plus sombre de cette fin de livre, celle pour laquelle j'ai interrompu ma lecture. En résumé, ça dit que le manipulateur est lui-même si détruit qu'il ne changera pas. Jamais. C'est quasi impossible. Il prendra toujours la douleur de l'autre pour une attaque personnelle. Ne se remettra jamais en questions, même s'il peut le prétendre. Or, je déteste les crises sans solution.
Je sais qu'on est au moins deux à avoir lu ce livre et que je ne suis pas celle qui a le plus souffert. Je n'ai pas cessé d'y penser. Et à toutes les autres victimes, souvent des femmes.