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violence

  • Aux premières loges pour l'horreur

    anéantis, sarah kane, théâtre, contemporain, violence, mort, suicide, torture, humiliation, choc, réflexion sur notre posture de spectateurAnéantis, Sarah Kane

    Avis chrono'

    Âmes sensibles s'abstenir, cette pièce de théâtre m'a menée au bord de l'écoeurement. Voilà qui interroge singulièrement notre appétit vicieux de faits divers sanglants et notre curiosité morbide. Qui osera assumer son voyeurisme jusqu'au bout après ça?


    L'auteure (contemporaine) était très jeune. J'ai consulté sa biographie sur internet. Vous remarquerez que je déroge à tous mes principes en ce moment... Il y a des périodes comme ça où on n'est plus libre d'être soi-même. Espérons que ce n'est pas fait pour durer. Je disais donc qu'elle était très jeune à l'époque, elle s'est d'ailleurs suicidée peu de temps après, an 1999, à l'âge de 28 ans.

    Elle a été traitée de folle par les critiques ai-je lu... Je n'irai pas jusque là, mais effectivement, on sent dans ce texte, Anéantis, qu'elle ne devait pas vivre parmi les bisounours...

    Le texte (très court, 90 pages) est découpé en cinq scènes. Tout se passe dans une chambre d'hôtel.

    Un journaliste d'age mûr y abuse d'une jeune fille, cherche à la dominer, à coucher avec elle, l'humilie. Tout ceci à grand renfort de termes très crus (Premiers mots de la pièce: "J'ai chié"), de revolver brandi, de masturbation et de propos homophobes. A partir de la scène trois, la chambre est éventrée par un  tir de mortier et l'histoire se trouve en quelque sorte symboliquement déplacée en contexte de guerre... Enfin, c'est ce que je comprends mais ne vous fiez pas trop à cette affirmation.

    Arrive un soldat, qui va reproduire sur Ian (l'homme abject du début) des atrocités telles que viol, énucléation (il mange les yeux de sa victime) tout en expliquant que rien ne compte, que la violence contre la personne est relative, face à la violence organisée des peuples.

     

    « Le fusil est né ici-bas et ne mourra pas. Je peux pas faire un drame de ton cul ».

     

    A la fin, la sexualité se mêle à la mort et au cannibalisme...


    Vous l'aurez compris, pas le genre de texte devant lequel on peut s'endormir ou s'ennuyer. Je plains les spectateurs, s'ils n'ont pas été prévenus... Pour la sortie en famille, oubliez.

    Au début, je l'avoue, c'était un peu too-much pour moi. Trop de termes sexuels, une violence trop "en vitrine" au point d'en avoir un petit côté absurde. Et j'en ai plaisanté. Je lisais à Amour quelques passages croustillants (ceux sur les fellations par exemple) en les assortissant de commentaires personnels. Mais plus j'avançais dans ma lecture, moins j'avais envie de rire. Et j'ai même fini par avoir la nausée. Ce qui ne m'est pas arrivé souvent. (Les tombes, Médina - excellent livre au demeurant)

    anéantis, sarah kane, théâtre, contemporain, Le fond de l'histoire, à mon avis, c'est de nous positionner par rapport à tout ce dont nous sommes abreuvés dans les médias, notamment en ce qui concerne les guerres "à l'extérieur" c'est à dire qui ne nous concernent pas et dont on ne mesure pas la violence, ou mal...

    Nous sommes là en posture de voyeurs, face au sexe, face à la force brute, à l'humiliation quotidienne à laquelle on ne prête même plus attention et face à cette barbarie de la guerre, qui semble ne même pas concerner notre société protégée. La pièce réussit à faire en sorte que nous nous regardions nous-même en train de voir tout ça exactement au moment même où nous sommes fascinés malgré nous par ce spectacle... Assez fort en vérité... Déroutant.

    Quelles sont mes chances de trouver quelqu'un qui a lu ce texte pour débattre de la psychologie de la fille, Cate? Je n'arrive pas à statuer sur son rôle...

     

    IAN - Cate, je te flingue de mes mains si tu n'arrêtes pas. Je t'ai dit ça parce que je t'aime, pas pour te faire peur.

    CATE - Tu ne m'aimes pas.

    IAN - Ne discute pas, je t'aime. Et tu m'aimes.

    CATE - Plus maintenant.

    IAN - Tu m'as aimé cette nuit.

    CATE - Je ne voulais pas.

    IAN - Je pensais que tu aimais ça.

    CATE - Non.

     

    Ce livre pour...?

    Ce livre pour des adultes, cette fois je ne plaisante pas. Si possible avec un brin de bon sens et de recul, qui sauront prendre le temps d'analyser au delà de l'effet "coup de poing".

     

  • A la source du mal

    Mystic_river_lehane.jpgMystic River, Dennis Lehane

    Avis chrono'

    Un roman noir, sombre comme les eaux de la Mystic River. Polar psychologique sur le thème de la rédemption et de la difficile communication avec ceux que l'on aime.


    (C'est en entendant des collègues parler du film l'année dernière que j'ai eu envie de le lire. Je vais donc tenter de me regarder ça dès ce soir.)

    1975 – Trois garçons se retrouvent pour jouer ensemble. Un jour, une voiture s'arrête. Dave accepte de monter à bord. Il disparaît, enlevé par les Loups. Il sera retrouvé, mais pour lui, plus rien ne sera jamais pareil.

    2000 – Les enfants ont grandi. Jimmy est un ex-malfrat, rangé, père de famille. Sean est devenu flic. Dave a lui aussi femme et enfant et lutte contre ses démons personnels.

    Leurs trois vies vont à nouveau se rejoindre lorsque la fille de Jimmy est retrouvée sauvagement assassinée.

    « L'homme ou la femme que vous aimez est rarement à la hauteur de votre amour. Parce que personne ne peut être à la hauteur de sentiments aussi forts, et au fond, peut-être que personne ne mérite de supporter un tel fardeau »

    Un roman policier si sombre qu'il m'a fallu, pendant le R.A.T, le mettre de côté à la nuit tombante.

    Le meurtre en lui-même semble relégué au second plan par l'aspect psychologique du récit. Les trois personnages masculins occupent le devant de la scène, chacun semblant rivaliser de regrets, d'amertume et de souffrance. De vide.

    « Il aurait voulu […] expliquer ce qu'elle avait signifié pour lui et ce qu'il avait ressenti à presser le visage contre sa nuque dans ce même lit, à entremêler les doigts aux siens, […] à s'asseoir à côté d'elle dans une voiture , à l'entendre bavarder ... »

    Difficile de trouver là-dedans une lueur d'espoir. Même ce qui pourrait être positif (je pense à l'évolution de Sean) me semble incomplet, entaché, voué à l'échec.

    Mon personnage préféré est sans doute Jimmy. C'est une sorte de Bad Boy à l'envers. Un homme qui croit avoir laissé le plus sombre derrière lui et qui met beaucoup de temps à s'apercevoir qu'il s'est peut-être oublié lui-même dans ce renoncement.

    Quant à Dave, c'est un personnage très difficile à saisir. Il est au centre des deux épisodes. D'abord victime, mais victime ratée, si l'on peut dire. Il était considéré perdu et son retour, finalement, déroute tout le monde, à commencer par ses proches. Il grandit dans la culpabilité, songeant qu'il n'aurait jamais dû échapper à ses ravisseurs. Se pose alors à nous la question de la parole et de la cicatrisation. Il enferme ses secrets, il se tait. Il devient un homme hanté par les sévices sexuels subis dans son enfance. Dévoré.

    " Car à certains moments, Dave n'était pas Dave. Il était le Petit Garçon. Le petit Garçon qui avait échappé aux Loups. Mais pas seulement. Il était le Petit Garçon qui avait échappé aux Loups et Grandi. Or, cet être là n'avais presque plus rien de commun avec Dave Boyle."

    Ce grignotage de sa personnalité était sans doute déjà entamé, le meurtre de Katie réveille ses démons comme il réveille ceux de Sean et de Jimmy, car qui dit meurtre dit enquête et questions. Par une répercussion inéluctable, chacun se retrouve face à ses pires interrogations: qui suis-je pour moi? Qui suis-je pour les autres?

    A mon sens, c'est un récit qui porte sur la parole, sur ce que l'on choisit de dire et à qui. Ce que l'on préfère taire. Ce que cela coûte. Les personnages féminins en sont pour moi l'illustration.

    « Je crois qu'elle m'aime toujours, elle aussi. (Il écrasa sa cigarette.) Elle me téléphone tout le temps. Elle téléphone, mais elle ne dit rien.

    - Elle fait...quoi?

    - Je sais.

    - Elle vous téléphone, mais elle ne dit pas un mot?

    - Mouais. Ça dure depuis huit mois. »

     

    Dennis Lehane est aussi l'auteur de Shutter Island. Je suis presque allée voir le film! Je crois que je vais tout à fait me laisser tenter par le roman, même si j'ai manqué la lecture commune en septembre.

  • Gros sur le coeur

    Coetzee_coeur_pays.jpgAu coeur de ce pays , J.M. Coetzee.

    J'ai eu beaucoup de mal à entrer dans ce roman, très éloigné de mes précédentes lectures. Une écriture austère, compacte. Une forme pour le moins singulière: l'oeuvre n'est pas découpée en chapitres mais en 266 « blocs » de paragraphes (sur 186 pages) que j'aurais tendance à qualifier de versets mais cela n'engage que moi.

    Comme je peinais à atteindre les trente pages lues, l'idée m'a traversée, chose rarissime, d'abandonner et de passer à autre chose. Puis vint ce moment où je ne compris plus rien du tout: un personnage mort à la page précédente, qui se promenait comme si de rien n'était trente lignes plus loin..

    Je vérifiai que je n'étais pas revenue en arrière sans y prendre garde. Que je n'avais pas mal lu... Non. Je devais vraiment être stupide.

    Petit coup d'oeil sur la biographie de l'auteur. Prix Nobel de littérature (oups, ah bon?). Tout s'expliquait. Résignée à une lecture sans doute résistante jusqu'à la dernière ligne, je décidai néanmoins de persévérer mais sans aucun entrain. Mécaniquement.

    Il fallut attendre un soir de déprime particulièrement intense, pour comprendre que ce qui résistait le plus, dans cette histoire, c'était moi, par crainte de m'identifier à quelque chose dans ce récit sombre et pessimiste, par refus de me laisser porter. Le moral déjà dans les chaussettes il me fut bien plus facile d'entrer cet l'univers inconfortable et je dévorai en une nuit d'insomnie l'intégralité du roman.

    La narratrice se nomme Magda. Elle vit dans une ferme isolée d'Afrique du Sud, avec son père qui ne lui prête guère attention et quelques serviteurs Noirs. Les 266 passages constituent un monologue, une sorte de journal de sa souffrance: solitude dévorante, délires autour de l'image de son propre corps et surtout de son sentiment d'être incomplète, vieille fille laide et mal aimée, vierge.

    Se déroulent ainsi des fantasmes sexuels incestueux, des scènes de violence sauvage, de meurtres, de viols, sans que le lecteur ne puisse jamais distinguer ce qui est rêvé de ce qui est vécu par la narratrice puisqu'au terme de longs développements de plusieurs dizaines de pages, des contradictions apparaissent qui nous font douter de la « réalité » du récit. Le père mort est à nouveau vivant. Il n'est plus fait mention de la femme arrivée au début du texte, etc...

    Roman de l'incohérence, c'est une plongée finalement assez fascinante dans les rouages de la folie. Au huis-clos géographique répond un huis-clos littéraire: ce récit au point de vue unique se referme peu à peu sur lui-même, en étau, broyant au passage toutes les certitudes du lecteur qui referme le livre en se demandant si finalement quelque chose d'autre est arrivé dans la vie de Magda que simplement mourir de solitude, de manque d'amour et de frustration.

    Extrait:

    " Nous ne sommes qu'un tissu de caprices: un caprice succède à l'autre. Pourquoi ne reconnaissons-nous pas que nos vies sont vides, aussi vides que le désertque nous habitons, acceptant dès lors de les passer à compter des moutons ou à laver des tasses, le coeur joyeux. Je ne vois pas pourquoi il faudrait que l'histoire de nos vies soit intéressante. "

    Littéraires: Voir ici pour les références à Kafka.

    Ce roman est le premier titre de ma trilogie estivale :

    voir l'article de présentation.