-
-
Point d'eau, point d'homme
La mare au diable, George Sand
Je ne le fais pas exprès mais mes lectures en ce moment s'enchaînent avec une grande cohérence et se répondent les unes aux autres, ce que vous verrez peut-être si j'arrive à garder le rythme des articles, ce qui n'est pas évident. Passés les 30 degrés à l'intérieur, j'agonise. Aussi mon instinct de survie me pousse à errer dehors la moitié des soirs. L'autre moitié, je rêvasse tendrement en essayant de fabriquer des sorbets citron-basilic, de m'y retrouver dans les différents types de farine ou de retenter pour la 4e fois d'obtenir des naans au fromage.
George Sand ne m'avait jamais attirée et je n'ai pas follement changé d'avis maintenant. J'ai découvert au passage dans l'intro du livre, même si je me demande pourquoi cette profusion de détails sur sa vie privée, qu'elle avait eu un nombre très honorable d'amants (et peut être une amante). S'il y a un lien avec la Mare au diable il est encore flou, parce que le livre ne déborde pas de sensualité, même si l'histoire est celle d'un veuf trentenaire, encore vert, qui, contraint de voyager un jour avec une jeune voisine (très jeune) s'égare en forêt. Durant cette nuit de camping improvisé, à proximité de cette mare au diable, il en tombe amoureux. Très chastement ne vous inquiétez pas, ils ressortiront des bois comme ils y sont entrés. Elle, très pauvre, partait travailler dans un village voisin. Lui, mieux loti, faire sa cour à une inconnue vantée par son beau-père et contracter un mariage de raison pour donner une nouvelle mère à ses enfants et étendre son patrimoine.
La description de la vie rurale n'a pas la douceur et la poésie que j'ai aimée chez Giono. C'est davantage centré sur les humains, sur la vie quotidienne que sur la nature. Giono avait les pieds dans les nuages, ceux de Sand sont bien enfoncés dans ses sabots. C'est un roman régionaliste. Pour ce qui est d'avoir un aperçu de la vie dans les campagnes au XIXe siècle, c'est parfait. Au delà de ça, l'amourette... Si ça ne m'a pas touchée alors qu'en ce moment je suis plutôt d'humeur sentimentale c'est qu'on peut mieux faire. A voir si je tente un autre de ses romans, François le champi ou la petite Fadette.
-
C'est bien plus beau lorsque c'est inutile
Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand
Vous n'en trouverez pas beaucoup, sur ces quinze ans, de critiques d'une relecture. Tout simplement parce que je ne relis presque jamais rien. Sauf avec une compagne, pour partager. Ou avec la petite. Mais j'ai relu les Faux monnayeurs, au printemps, pour un cadeau. N'ai rien écrit car il n'y a pas matière : ça marche toujours, l'écriture est magnifique, c'est un grand livre, voilà tout.
C'est étonnant... Je passe mon temps à tisser des liens entre mon passé et mon présent - qui ne m'évitent pas de refaire les plus lourdes erreurs - mais je ne relis presque jamais les livres qui sont mes piliers. Même Le Bruit et la Fureur... Depuis combien d'années? Il faudra le mettre au programme de mon été.
Il y a quelques mois j'ai eu envie de revoir le film Cyrano, celui de Rappeneau. J'en ai parlé plusieurs fois, mais ma version à la maison était trop vieille, le film n'a jamais voulu démarrer. J'ai regardé s'il n'était pas sur Netflix... Et hier, je l'ai trouvé, tout simplement à la médiathèque. Le timing...
J'ai tellement vu et revu ce film, quand j'étais jeune... Plusieurs dizaines de fois. J'en connaissais au moins la moitié par cœur. Mon père avait fini par m'offrir le texte en poche. J'ai alors découvert le concept d'adaptation. Que le réalisateur avait fait des coupes, J'ai tout annoté. J'ai ressorti mon exemplaire hier, il y a tout, les vers supprimés, les modifications... J'ai revu le film et relu des passages entiers, cette nuit. Ma mémoire s'est un peu effacée, je peux poursuivre souvent sur quelques vers les tirades, mais les morceaux entiers se sont perdus et j'aimerais qu'ils reviennent. J'ai encore l'âge de ré-apprendre.
A la fac, un de mes profs a démoli cette pièce. Une merde d'une grande mièvrerie, disait-il en substance. J'avais eu un peu honte et pendant des années, je m'en suis tenue à l'écart.
Alors j'ai essayé hier de le regarder avec ces yeux-là et ma connaissance un peu plus large de la littérature. Je me suis demandée si ça en était d'ailleurs, de la littérature. Parce que c'est vrai que c'est d'un romantisme un peu benêt. Que le gars fait son malheur tout seul, comme un grand. Qu'il aurait pu l'avoir, la fille. Qu'il a laissé filer l'occasion. Mais il a été là, à côté, en ami. Je lui tire mon chapeau d'avoir tenu sa langue tout en l'ayant si éloquente et bien pendue !
Je trouve personnellement qu'il y a du mérite à un texte comme celui-ci, pas virtuose, un peu grotesque, populaire, à la fin du XIXe siècle, dans une période qui s'est éloignée du romantisme et dans un contexte politique sombre et chargé.
Je pleure encore à la fin, comme quand j'étais ado, parce que j'y crois, à cette histoire de panache. Et je me demande si j'ai trop vu ce film ou si au contraire, j'étais contente de le trouver car j'étais déjà comme ça. Quoi qu'il en soit, cette scène finale en fait un peu trop, je ne peux que le concéder.
Côté style, elle est pénible cette pièce, à lire - c'est pas fait pour, me direz-vous, va au théâtre . C'est prévu. Retourner au théâtre, pour le répertoire classique, ça me manque. - les vers sont hachés, éparpillés sur trois lignes, partagés entre trois locuteurs différents. Le tout coupé encore par les didascalies...
La tirade des nez est d'une grande virtuosité, c'est un exemple de ce qu'est l'esprit, j'admire. Mais ça n'est pas mon passage préféré. Je souris toujours quand je lis "Je me suis donc battu, madame, et c'est tant mieux/ Non pour mon vilain nez mais bien pour vos beaux yeux". Galanterie surannée. La première confrontation avec Christian, c'est drôle. "Paf ! Et je riposte... Pif!" Et le duel, au début ! "A la fin de l'envoi, je touche". Que de savoureux morceaux...
Mais le passage que j'aime par dessus tout ( d'après mon gribouillage dans la marge : 47e minute) est sa longue tirade sur son refus de la compromission, de se mettre à l'abri d'un puissant, d'abdiquer sa liberté et de se renier soi-même, qui se termine ainsi :
"Bref, dédaignant d'être le lierre parasite,
Lors même que l'on n'est pas le chêne ou le tilleul,
Ne pas monter bien haut peut-être, mais tout seul ! "Mauvaise pièce, bon coeur.
-
Mort aux VIH !
Toutes les familles sont psychotiques, Douglas Coupland
Psychotique, d'après mon dictionnaire, c'est relatif à la psychose et hop colonne d'avant, la psychose est une altération profonde de la personnalité dont le sujet n'est pas conscient. Aucun des personnages ne semble répondre à ces critères. Même avant de vérifier, j'avais senti que ce titre était pourri. Probablement une contagion par contact avec la couverture...
C'était vraiment vraiment mauvais toute la première moitié. J'ai vaguement commencé à m'intéresser aux personnages après mais notez bien la mise en valeur de l'adverbe.
Tout ce petit monde groupé sous le terme "famille" se retrouve à l'occasion du départ pour l'espace de la fille astronaute. Elle a deux frères, l'un est un voyou, l'autre un raté dépressif, ils ont des femmes adultères ou enceintes qui veulent avorter ou vendre leur gosse, des parents séparés et de mauvaises fréquentations. Ils ont pour projet de vendre au marché noir une lettre de la couronne britannique. En bonus, la moitié d'entre eux ont le SIDA, avec d'originales variations dans les modes de contamination.
Il n'y a pas d'histoire, pas de message, pas de tension, pas d'humour, mais quand même un peu d'action... Vraiment je ne vois pas quoi en tirer de plus, hormis une place de 2,4mm de large sur mon étagère.
-
Apocalypse, tout le monde dessine
Station Eleven, Emily St. John Mandel
Parce qu'il était question dans le résumé d'une troupe itinérante jouant Shakespeare dans un monde post-apocalyptique, ce roman devait faire partie de mon voyage sous les tropiques, celui dont je suis rentrée avec quatre coups de soleil, plus de questions que de réponses et la ferme intention de relancer tous mes projets avortés. Heureusement, j'en ai fini la lecture juste la veille de mon départ et in extremis je lui ai confisqué son billet.
C'est une pure arnaque, oubliez Shakespeare il n'est que figurant. A moins que de merveilleuses et savantes références ne m'aient échappé... Je ne considère pas que c'est impossible mais qu'au fond ça n'aurait pas fait grande différence. L'épidémie qui anéantit la quasi totalité de l'humanité, voui, pourquoi pas. Au moins on échappe aux zombies, aux passages sanglants de guerre civile même si la violence est présente, sourde, en arrière plan. L'acteur multi-divorcé, en proie aux doutes existentiels, mort dans l'épidémie mais qui sert de fil rouge à tout ce qui suit ne m'a pas spécialement émue. La jeune héroïne qui n'a que peu de souvenirs du monde d'avant à peine plus.
"Donc, dit Miranda, toutes les fois où je te voyais lui écrire, elle ne répondait pas. Cette révélation l'attrista à un point qui la surprit.
- Exact. Je me servais d'elle comme réceptacle de mes pensées. Je crois que j'avais cessé de la voir comme un être humain qui lisait une lettre."Le gros défaut de ce livre c'est qu'en dépit de quelques péripéties, il ne raconte foncièrement rien. Il décrit, à la rigueur. ça n'est pas non plus une invitation à réfléchir, un texte engagé.
Étrangement, il y a quand même quelque chose qui m'a énormément plu, c'est la bande dessinée nommée "station eleven", grand projet d'une des épouses de l'acteur. Projet qui l'a occupée presque toute sa vie, qui n'a donné lieu qu'à deux exemplaires pilotes qui voyagent encore dans le monde d'après. Ce qui est dit de l'histoire de la B.D, de son style graphique, de ses personnages m'a fait envie. C'est ce livre-là que je veux lire le "station eleven" qui n'est pas dans mes mains, celui qui n'existe pas. Je me reconnais bien là...