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    décercerer, prison, lhuissierDécarcérer, Sylvain Lhuissier

    "Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons" disait Victor Hugo. La question de la répression des crimes et des délits est sans doute aussi vieille que la notion même de loi. Je renvoie à ma lecture récente des mystères de Paris. L'auteur de ce roman, comme celui du présent essai, partagent de nombreux points communs. Eloignés dans le temps d'un siècle, c'est la preuve qu'on patauge.

    L'ouvrage commence par donner un coup de pied dans les fanstames que l'on se fait de la prison. Non, elles ne sont pas pleines de criminels. Seulement 1,5% des condamnations à une peine ferme est la conséquence d'un crime. Le reste, c'est du délit. Non ça n'est pas une colonie de vacances. Nous sommes assez menacés de sanction par l'Europe pour le savoir, nos prisons sont affreuses, les conditions de vie à l'intérieur dégradantes. Les rats, les punaises, la surpopulation à 4 dans 9m², la température qui monte à plus de 45°, deux douches par semaines, aucun accès aux soins... Tout cela est très documenté et pas une anomalie occasionnelle, c'est l'état chronique de nos prisons où l'on se suicide sept fois plus qu'à l'extérieur. Toujours envie d'échanger votre résidence estivale contre un AirBNB en pension complète à la mal-nommée "Santé" ?

    Un lieu qui craint et surtout, un système qui ne fonctionne pas, qui est une usine à récidive. Et pourtant, on persiste. Parce que c'est sécurisant, l'idée d'enfermer. Qu'on ne se projette collectivement pas plus loin que ça, d'ailleurs, le sujet, politiquement, n'est pas sexy; La sécurité, on la pense en terme de police.

    Oh, on tente des choses, en prison, par exemple les "codétenus de soutien", chargés d'être des antennes vigilantes pour prévenir le suicide en observant les autres. Bonjour la responsabilité sur les épaules...

    Notre système engorgé est un véritable cercle vicieux. Quand les peines sont prononcées, souvent, s'il y a eu détention provisoire et comme celle-ci, à cause de la surcharge des tribunaux, dure plus qu'il n'est nécessaire, le juge prononce souvent une peine équivalente à la durée de détention. ça évite d'avoir à dédommager. En d'autres termes, vous méritiez deux mois, mais votre affaire a trainé, vous avez fait cinq mois de détention provisoire, vous prenez une peine de cinq mois. ça solde le compte.

    Je suis, comme vous l'aurez compris, tout à fait d'accord avec le contenu de ce livre, à une faiblesse près sur laquelle je vais revenir.
    Sur la forme, très artificielle, de ce fil rouge d'un repas imaginaire en famille lors duquel le sujet arriverait sur la table entre les tomates et la mozarelle, je suis moins enthousiaste. Je pense qu'on pouvait se passer de ce pseudo emballage et se contenter des faits.

    Reste la question des solutions. La partie que j'attendais vraiment, les idées que je n'ai pas. Le vrai débat. J'ai été un peu déçue, c'est expédié, ça ne sort pas des quelques trucs déjà connus, les travaux d’intérêt général, le bracelet électronique, la justice restaurative.

    Mais quid d'une action directe sur nos mentalités ? Il faut bien en faire quelque chose, de notre besoin de punir. J'ai beau détester ce que sont nos prisons et être d'accord avec tout le reste, je sens bien, chez moi, que l'idée de s'en tirer avec une réprimande orale et un atelier de sensibilisation, ça me coince. J'attends un tome 2, pour qu'on en discute ?


    Merci à l'opération Masse Critique de Babelio pour cette lecture instructive ! 

  • Les mystères de Paris

    mysteres-paris.jpgLes mystères de Paris, Eugène Sue

    "Car enfin c’est une infamie, ça… que la loi soit trop chère pour les pauvres gens."

    Plus d'un an déjà que cette lecture fleuve m'accompagne. En livre audio, dans la voiture, au travail, à vélo ou sur la liseuse la nuit. Pour quelques phrases éparses ou pour trois chapitres d'un coup. Avec des pauses de plusieurs semaines, pour lire d'autres choses. Il devrait me manquer... Je devrais être en train de ruminer sur cette séparation.

    Mais ce sont dix livres en un, dont quatre vraiment en trop. Déjà à cette époque, c'était le point faible des séries, d'étaler le contenu jusqu'à des épaisseurs si fines qu'on finit par voir le vide à travers. Je crois avoir évacué ma principale critique.

    Pour le reste, j'en suis à essayer de comprendre comment j'ai pu passer au travers jusqu'ici. Située entre Balzac et Zola, je trouve qu'il y a énormément à dire sur cette œuvre, dans un parcours scolaire. Si elle souffre d'une mauvais réputation, je me demande à quoi c'est dû... Certaines scènes de vie populaire valent bien Zola, qui en fait aussi des caisses parfois, en pathos - Balzac, tout le vaut, je ne l'ai jamais porté dans mon cœur, il m'ennuie, à l'exception du père Goriot qu'on peut sauver.

    Je savais Eugène Sue célèbre pour ses rebondissements rocambolesques. Je m'en faisais l'idée d'un récit davantage policier, je pense. Or, c'est très social. Très politique.  Mais bien fichu, comme feuilleton pour tenir en haleine.

    Au début du récit, on découvre Rodolphe, le personnage principal. C'est un prince héritier, déguisé pour infiltrer les couches les plus honteuses, les plus mal-famées, les plus malheureuses de la société. Il rencontre un repris de justice au grand cœur, une orpheline qui brille de pureté au cœur de l'infamie ! Ahlàlà, ça dégouline de bons sentiments de partout. Le bien, le mal, la justice, à chaque coin de page et j'adore ça.

    Sans doute, ce qui doit jouer sur le regard porté sur l’œuvre : ça fait très catéchisme laïc. On vit dans une époque où tout doit être nuancé, où l'on se garde bien de porter des jugements moraux stricts. Là non seulement chaque partie illustre un argument moral, mais c'est très construit, très explicite et c'est doublé d'une sorte d'aparté, ensuite, où l'auteur argumente directement à notre adresse sur ce qu'il vient de mettre en exemple. Si l'on n'a pas compris la première fois, on a le droit à la rediff sous titrée.

    Alors oui, le hasard fait bien les choses dans ce livre, les enfants perdus retrouvent leurs parents, les périls imminents sont déjoués à la dernière seconde, les quiproquos se nouent et se dénouent, on nous laisse en plein suspense d'un côté pour nous emmener quelques chapitres d'un autre et nous impatienter, puis les bons sont récompensés, les méchants punis. L'amour empêché ne l'est soudain plus (merci le destin et les maris suicidaires). C'est romanesque à souhait... mais ça nous dit tout aussi de la misère ouvrière, des engrenages par lesquels on tombe dans la délinquance. Du rôle important de l'état et des lois, de l'enseignement, des politiques économiques et carcérales. D'ailleurs je sauve ceci, des derniers livres en trop, toute la partie sur les prisons, la raison pour laquelle il ne faudrait pas mettre les détenus ensemble mais les séparer dans des cellules individuelles, etc. (Petit bémol sur l'idée des mutilations physiques, rendre aveugle pour faire du fort un faible, mais seulement instinctivement, sans véritable argument, je sens qu'à notre époque ça passerait moyen).

    C'est un vrai plaidoyer qui aurait sa place à l'Assemblée. ça ressemble presque à un discours contemporain. Je dis "presque", il y a parfois quelques propos qui sentent un peu le colonialisme. Pas le racisme, mais le XiXe siècle, c'est logique, l'auteur y vivait. Avec une ébauche de féminisme. Comment on rend un homme fier de son travail, comment on dirige quand on est un bon patron... Je suppose que c'est assez mièvre, souvent. Il y aurait matière à débat.

    C'est une œuvre socialiste, je suis d'une génération qui peut encore reconnaître ça, pour l'avoir connu.  Le roman parcourt toutes les classes sociales, il montre l'extrême dénuement des ouvriers, l'injustice d'une situation qui met les êtres humains à la merci des usuriers. Il montre aussi que l’aristocratie n'est pas à l'abri de tous les chagrins. C'est paternaliste, d'une certaine manière. Le riche a le devoir moral d'être attentif aux autres, d’œuvrer au bien. Proche de la vision américaine des classes, pour le coup.

    Bref. Trop complexe pour être résumé. Agréable à lire, même sans prêter trop d'attention au côté moralisateur. Il y a suffisamment de voyous, de coups de couteau, de meurtres et de situations pathétiques pour s'occuper.

    "Il ne te tuera pas, et il vendra ta pauvre Catherine… Il est ton mari, n’est-ce pas ? Il est le chef de la communauté, comme t’a dit l’avocat, tant que vous ne serez pas séparés par la loi ; et comme tu n’as pas cinq cents francs à donner pour ça, il faut te résigner, ton mari a le droit d’emmener sa fille de chez toi, et où il veut."

  • A vos ogres

    À celle qui trouve le job de muse un peu trop contraignant.
    Charge à moi de mettre en lumière plus d'avantages que d'inconvénients,
    plus d'amusement que d'ennui,
    à elle de poursuivre l'approvisionnement en énergie renouvelable.

     

    jaworski-fauteurs-ordre.pngLes fauteurs d ordre, Jean-Philippe Jaworski

    Ah, l'époque bénie des commanditaires et des exécutants ! Au départ de ce grand soupir venu du coeur, j'avais en tête la vision idéalisée de l'amour courtois, bien sûr. Ainsi que les peintres et sculpteurs de la Renaissance, les poètes et leurs muses, Roxane ou Béatrice, Guenièvre et son Lancelot. Mais en m'attardant sur le concept, ce n'est pas sans frissonner que je traverse cette époque persuadée que je ne suis pas faite pour être du côté qui inspire. Il y a un plaisir évident à se laisser porter par d'autres volontés, plaisir qui selon le contexte peut s'avérer délicieux ou dangereux. Soit. Nous verrons à recevoir comme il se doit qui voudra s'en mal servir.  

    Voici, si j'ai bien compris, un texte qui a justement tout de l'œuvre de commande et se donne pour objectif de répondre - offensivement - à la brûlante actualité politique. Rédigée en quelques semaines, donc, et fermement engagée. 
    Je n'ai pas encore lu Jaworski, c'est prévu (Janua Vera), je note que j'ai apprécié l'univers et la langue. C'est présenté comme un conte et il est en effet difficile de dater l'époque dans laquelle se déroule l'intrigue : des hauts-de-chausse, des hôtels particuliers, une Régente, un Patricien, tout cela typique des univers fantasy. Ce qui est certain, c'est que le régime est autoritaire, on arrête à tour de bras, on enferme, on interroge à la mode Inquisition. Craindre, obéir et acclamer la figure du chef, c'est le petit côté moderne. 

    Sans doute faudra-t-il retrancher de tout cela mon enthousiasme de femme en vacances qui a endormi sa progéniture en pleine berceuse en tout début de soirée et s'est vue octroyer ainsi un temps de lecture, de dégustation de chocolat et de méditation rare et précieux, mais je n'ai pas été déçue. 

    Plus qu'un conte, j'y vois une nouvelle, resserrée sur son sujet, courte afin de ne pas laisser au lectorat le temps d'échafauder des hypothèses sur la fin de ce triste sire, figure connue du 20e siècle, le monstre commun, l'humain administratif, l'exécutant zélé de tout ce qui vient du haut. Ce n'est pas transcendant, ni vraiment surprenant, mais… oui, efficace. Un salutaire rappel d'une réalité, un message qu'on aimerait capable de toucher quelques esprits, l'argument est pertinent. Désolée de ne pouvoir en dire plus. 

    Bémol. Le lien avec l'actualité est un peu lâche. Qu'on pense à un passé qui éclaire les fondements d'un parti actuel, ou aux conséquences futures de son accession au pouvoir, vers l'avant ou en arrière, je trouve qu'il manque une pièce au raisonnement. Il y a comme un trou. Je ne suis pas certaine que l'objectif affiché soit atteint.

    J'ai ici rempli ma part de ce duel de commande à honorer. Reste à déterminer à qui le guerredon.

     

  • Drôle de râle

    Les-morts-bizarres.jpgLes morts bizarres, Jean Richepin

    Drôle de livre, en très bon état, que je ne me souviens pas avoir acheté, dont j'ignore si on me l'a offert ou prêté, ce qui est rarissime et ... très gênant. Je le sens comme kidnappé chez moi, injustement retenu et je ne demande pas mieux que de le libérer mais vers qui ?

    J'ai découvert un nouvel auteur de la fin du XIXe siècle, qui a connu Rimbaud, peut-être Rostand... Un jeune rebelle, provocateur, grande gueule, libre et nomade, franc-tireur au franc parlé, qui semble avoir cherché en premier lieu par ses écrits le scandale et l'outrage.

    Chacune des nouvelles qui compose ce roman raconte l'histoire d'un homme - jamais d'une femme - et se termine sur sa mort souvent stupide et impromptue. Les futurs décédés sont de pauvres types, voleurs, écrivains ratés, troufions, ou savants fous. Ils meurent sur les toilettes, dans des cachots où à l'endroit où il se pensaient sauvés. La diversité des récits, très courts est un point positif,  ainsi que la couche d'humour noir mais je n'en garderai pas un souvenir impérissable.

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    Claude !  Viens faire un peu le malin avec nous, tes interventions sont, paraît-il, appréciées. Montre voir comme tu es savant ! J'ai choisi "drôle de râle" comme titre de mon texte, en référence à un vieux film. Tu saurais deviner lequel ?

    Le film auquel vous faites probablement référence est "Drôle de drame", un classique du cinéma français réalisé par Marcel Carné en 1937. "Drôle de drame" est une comédie loufoque qui met en scène Louis Jouvet, Françoise Rosay, Michel Simon et Jean-Louis Barrault. Le film est connu pour son humour absurde et ses dialogues savoureux, écrits par Jacques Prévert. Votre titre "Drôle de râle" joue habilement avec cette référence, en remplaçant "drame" par "râle", ce qui crée un lien intéressant avec le thème macabre des "Morts bizarres" de Richepin.

    Yep. Un de mes films préférés ! Je l'aurai un jour... Je l'aurai...