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Urgences

  • Un philtre à la patte

    tristan-iseult.jpgTristan et Iseult

    Même si l'assemblage des épisodes raboutés dans ma version manque parfois un peu de fluidité, c'était ma foi une bien agréable surprise! J'avais vaguement en tête une histoire de passion tragique à base de philtre d'amour. Au lieu de quoi, je me suis bien amusée. Peut-être que j'avais un a priori chronologique, je voyais ça un peu plus chrétien, avec une morale plus tranchée.

    Tristan est un preux chevalier (les premiers épisodes sont de très chouettes récits de chevalier, avec tout ce qu'il faut de monstres et de dragons pour vous poser un héros), puis il promet à son oncle de lui trouver la jeune fille à laquelle appartient un cheveu plus blond que blond apporté par un oiseau. Mais sur le trajet du retour, avec Iseult la belle promise, un "accident" de potion magique - ça ne touche pas que les gros moustachus en braies - les rend fous amoureux l'un de l'autre. Pour trois ans.

    Commence alors un parfait vaudeville médiéval, où les deux amants ne cessent de déjouer les pièges tendus par les courtisans du roi pour les prendre sur le fait. On saute par les fenêtres, on trouve des explications improvisées quand tout semble foutu, on trouve mille ruses pour se rejoindre et se faire des câlins. C'est presque un recueil de gags.

    Le mari trompé n'est même pas si ridicule, il ne fait simplement pas le poids face à un amour si puissant. Le plus étrange pour moi a été de découvrir que le récit ne s'achève pas à l'expiration du philtre d'amour, qui n'est que le prétexte à commencer une histoire interdite entre le chevalier et la femme de son seigneur.  Quand l'effet du philtre disparaît, ce ne sont pas leurs sentiments qui s'éteignent mais simplement leur capacité à vivre leur amour en dehors des lois de la société. Ils rentrent dans le rang, comme si la fin de la récréation avait sonné la fin de l'inconséquence et de l'impunité.

    L'amour est là, identique, persistant. C'est le décor qui a changé. Un peu comme si la réalité les rattrapait. Je me demande s'il n'y a pas dans tout ça une forme de message sur le temps qui passe. L'amour de jeunesse contre l'amour mature.  Le plaisir contre le devoir. 

    Je n'avais pas eu depuis bien longtemps le regret des bancs de la fac. J'aurais aimé en savoir un peu plus, c'est un texte que j'aurais eu plaisir à étudier je pense.

     

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  • Les impatientes

    web-les-impatientes.jpgLes impatientes, DjaÏli Amadou Amal

    "Munyal, patience", ne cessent d'entendre les femmes de ce récit. Alors, pour les trois mois entre le titre et le contenu de cet article, je préviens tout de suite, c'est pas la peine de se plaindre.

    Je vous en déconseille la lecture si vous avez l'impression d'avoir usé votre quota de patience derrière deux caddies à la caisse au Leclerc, ou en attendant la sortie du prochain épisode de votre série préférée. Il n'y a pas de concurrence possible car il est question au travers des récits de trois femmes peules de tout ce qui peut écraser une femme pour la soumettre, que ce soit l'éclat brutal de la violence physique ou le poids écrasant et continu de la tradition, celle des mariages polygames, des femmes dont le destin tout tracé depuis l'enfance est d'honorer leur mari et d'oublier toute volonté propre.

    La patience qu'on leur demande est de subir sans un cri. C'est déshonorant, de se plaindre. Subir les coups, l'adultère. Subir un mariage forcé à un vieillard, quand on aimait un autre homme et qu'on avait presque la chance de poursuivre des études. Subir aussi de n'avoir jamais la certitude de conserver la seule chose qui reste aux femmes dans cette organisation sociale, un statut, quand le mari lassé peut à tout moment prendre une autre femme, plus jeune et désirable. Répudier. Humilier.

    J'ai très peu souvent l'occasion d'une plongée réaliste dans une autre culture alors j'ai énormément apprécié cette lecture, presque la seule de cette année terrible. Au delà de l'émotion et de la compassion, je crois que mon récit préféré est celui de la première femme, qui voit arriver une rivale et n'a de cesse de la détruire pour reconquérir son mari pour elle seule.  C'est comme cela que l'édifice tient, quand les victimes sont convaincues, quand le poison de la résignation passe pour une vertu.

    à M..., qui n'a pas vu sa fille depuis bientôt deux ans

    et vient d'obtenir sa prochaine date d'audience :

    janvier 2025.

    https://enfants-arcenciel.org/produit/le-cri-des-coeurs/

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  • Soustraction

    Pour Jo.., pour Maud, pour les enfants qui grandissent avec un fantôme caché dans un coin de la mémoirNous étions trois, Naomi Reboul

    Cet album est disponible en ligne gratuitement jusqu'au 19 juin 2022.

    Pour Jo.., pour Maud, pour les enfants qui grandissent avec un fantôme caché dans un coin de la mémoir

    Merci à celle qui a immédiatement fait le lien entre mon histoire personnelle et ce récit bouleversant, qui a trouvé un tel écho chez moi que je n'ai pas pu dépasser pendant deux jours cette phrase du synopsis "Depuis le mois de novembre 2021, Naomi est sans nouvelle de sa fille… ". Une demi année... Une demi-année de la vie d'un très jeune enfant... Et le temps qui continue de filer sans retour possible.

    Le texte est un montage de citations extraites des témoignages recueillis pour la procédure en justice. Factuels, révoltés, abasourdis... Ils défilent tous, ceux qui ont été témoins de la vie de l'enfant, de près ou de loin. Ceux qui soutiennent. Et derrière, les images, sobres, les instantanés d'une vie en famille, un enfant qui joue, des vacances, une chambre, une main sur un ventre arrondi. On pourrait croire que les mots de soutien et les clichés des périodes heureuses s'harmonisent. J'ai trouvé qu'il y avait un contraste violent, au contraire. Aucun de ces mots n'aurait dû être écrit. On ne devrait jamais avoir à mendier le statut de parent de son propre enfant auprès de sa boulangère.

    Le bon vouloir de la mère biologique. La toute puissance de l'acte de naissance et la négation du reste, du quotidien, de l'amour. La réécriture du passé. Le coup de tonnerre de la disparition. J'ai tout reconnu. Un enfant n'est pas une île, même tout petit, ses racines s'étendent déjà dans toutes les directions. Il se nourrira de tout, de tous et fera son propre mélange. Personne ne devrait avoir le pouvoir de tailler dans son histoire à la machette.

    Maud, ma fille, je t'aime. Je t'ai dit bien trop vite au revoir, pour une si longue séparation. Tu n'aurais jamais dû te retrouver au cœur de cette soustraction. Je suis là. Je sors toujours le soir regarder les étoiles, les mêmes étoiles que tu dois voir où que tu sois. Et je t'aime. Et j'espère que tu te souviens.

     

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  • Incroyable talon

    chant-achille-miller.JPGLe chant d'Achille, Madeline Miller

    Lectures sur le thème "mythologies", ce trimestre. Voici qui commence très bien, j'ai pris un grand plaisir à découvrir indirectement l’Iliade à travers ce roman jeunesse contemporain. Jamais lu l'Iliade. Mais j'ai presque envie, maintenant, ne serait-ce que pour comparer.

    Le chant d'Achille est en réalité celui de Patrocle, jeune prince peu porté sur les armes et la rivalité virile, qui déçoit son père et finit par être banni. Recueilli à la cour de Pélée, il y tombe amoureux de son fils, le demi-dieu Achille.

    Plus que la tendre histoire d'amour, j'ai apprécié particulièrement deux choses : toute la partie sur le siège de Troie, où les batailles ne sont que la moitié de l'évènement, et surtout, le fond vraiment littéraire, la façon de décrire l'héroïsme, l'omniprésence des dieux et la fatalité.

     

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  • L'histoire sans flingue

    alice zeniter,je suis une fille sans histoire,essai,aux frontières du réelJe suis une fille sans histoire, Alice Zeniter

    Un vrai plaisir que ce petit essai qui s'est glissé pile dans ma pause déjeuner, avec tout ce qu'il faut d'intelligence, de pédagogie, de convictions féministes et d'humour pour éclairer le reste de ma journée!
    Sur la piste principale on est en quête de ce qui fait un bon récit, en s'appuyant sur Aristote, le schéma narratif ou la sémiologie(tout en douceur, vous inquiétez pas) et sur les chemins de traverse on en profite pour s'interroger sur l'éviction des femmes de ces récits, l'importance du discours politique ou le lien qu'entretiennent le réel et la fiction.

    Je résiste (difficilement, vraiment, j'en bave. Vous ne voyez jamais comme j'en bave, quand j'écris et que j'efface sans cesse.) à l'envie de tout paraphraser et de tout ponctuer avec des "mais oui", "bien sûr", "je suis d'accord!".

    C'était juste trop court.

    Je prolonge en discutant mes passages préférés (c'est facile de trouver dans n'importe quel livre mes passages préférés : Les trucs qui me laissent sur ma faim. Les trucs qui me perturbent. Les histoires d'amour avec rien que des filles.)

    "Un homme / qui fait des trucs / de préférences violents."

    Un homme. Comment s'est faite cette bascule ?  Parce que le chasseur barbu et poilu qui brandit sa lance devant le mammouth, ça n'a même pas 200 ans d'âge. C'est parce que le patriarcat était solidement installé quand on a commencé à étudier la préhistoire qu'on a longtemps mégenré de nombreux squelettes (des bijoux ou de la vaisselle, c'est une femme, des armes ou des tas d'offrandes qui montrent l'importance de la personne, c'est un homme. CQFD)  et il semble aujourd'hui établi que le dimorphisme femme petite / homme grand n'est pas attesté à la préhistoire, les femmes chassaient probablement à l'égal des hommes, c'est plus tard que le fossé s'est creusé, quelque part avant Aristote. J'ajoute qu'il a été montré que les peintures rupestres étaient autant l'œuvre des femmes que des hommes. On avait le premier rôle dans l'action, on avait le média pour le récit... Bordel mais où ça a merdé, ensuite??

    Ce syndrome de la Schtroumpfette m'interpelle, une nana pour un tas de mecs, dans les livres, dans les films, c'est vrai que c'est souvent comme ça. Et d'un strict point de vue évolutionniste...

    Mettons qu'un spécimen mâle est particulièrement réussi. C'est avec lui que toutes les femelles veulent se reproduire. Il est occupé avec une autre. Zut. Bon. J'attends 10mn (20mn? Une heure ? Excusez mon peu d'expérience) et mon vœu est exaucé.

    Inversement, avec la femelle très convoitée, qui est occupée avec un collègue. Zut. Bon. J'attends 5mn (là je suis sûre de mon coup) et hop mon vœu est exaucé ? Que nenni, produits de l'ère contraceptive que vous êtes ! Je ne parle pas de câlins sous la couette, mais de transmission de patrimoine génétique. C'est un ou deux ans, qu'il faut attendre : la mise bas + l'allaitement, quand on a raté le coche.

    Alors je pense qu'assez primitivement, les hommes se sentent tout à fait comme des Schtroumpfs, en compétition pour les femmes, qui ne sont pas rares en nombre, mais en disponibilité. Mais ce n'est pas une excuse, on aurait dû faire des albums de Schtroumpfs qui font des trucs, des albums de Schtroumpfettes qui font des trucs et un seul album où ils se mélangent. Et ne leur demandez pas de s'occuper de Gargamel ce jour-là.

    Revenons à nos mammouths. Les femmes avaient l'embarras du choix. Donc elles choisissaient le plus costaud. Donc évolution en taille des hommes au fil des générations, jusqu'à ce qu'ils s'imposent par la force...

    ... Si c'est par la force qu'on s'impose. Je renvoie à Sapiens, lecture intéressante. Et à Ulysse. Et au combo "le cerveau de l'équipe/les gorilles débiles" , qui est lui aussi un topos, non ? Je ne suis pas convaincue que l'appétence soit vraiment pour la violence.

    Moi aussi je veux jouer avec les récits de chasseurs/cueilleurs!

    Je suis une chasseuse. Je vois un lapin, je lance ma lance, je mets le lapin mort dans ma brouette. J'avance, je vois un lapin, je lance, brouette ainsi de suite et adieu le prix Goncourt.

    Je suis un cueilleur. Une airelle. Des animaux traversent au pas de course la clairière. Une autre airelle. Le sol gronde (et le ciel aussi, allez). Et paf un éclair qui manque de me tomber sur le coin de la tronche (vla pour la crainte). Et pouf la terre s'ouvre et ma voisine tombe dans la faille (vla pour la pitié).

    C'est la violence qui fonctionne comme récit, au sens du sang, de la guerre? Ou le danger, la peur pour la vie?

    Il y avait peut-être juste plus de mammouths que de tremblements de terre ?
    David et Goliath c'est vieux aussi. Force et ruse se partagent assez bien la littérature. Vaut mieux être le type qui a la mallette de billets, plutôt que celui qui a mis la baffe pour la récupérer avant de vous la filer. 
    Je suis perturbée par la place du culte de la violence et de la domination par la force. Je botte en touche. Je n'ai jamais lu Ursula Le Guin et plus on me la cite, plus je la devine au-delà de moi, le genre de texte pour lequel il me faudra un marchepied. 

    J'ai gardé pour la fin la principale qualité de l'essai, son engagement, son ton positif, tourné vers l'action et le futur. Je pense aussi que les récits sont des armes. J'ai toujours rêvé d'écrire des discours politiques.

    La fiction précède le réel, non ? Ce qui est dit précède l'action. La théorie, la pratique. La sérénade, le balcon.*4 

    Je définirais bien le réel comme le film qu'on tourne à partir du scénario dominant. 

     

    *1 - Avoir un signifiant qui contient "Zenit"(h) et vouer un culte aux notes de bas de page, je trouve que ça pose l'ambiance.

    *2 - "Notes de bad pages", c'était ma seconde option pour le titre de l'article. C'est tellement rare quand j'en ai deux que ça vaut la peine d'être souligné.

    *3 - Une pensée émue pour Hollande, qui s'est vendu comme un Gouda, alors qu'il aurait dû se présenter Camembert ou Maroilles, je suis d'accord, Mme Zeniter, je suis d'accord! L'emballage fait tout. Le récit fait tout. 

    *4 - (C'est ma dernière, promis). Souvenir d'une conversation de machine à café, que T., qui a raison sur tout en terme d'écologie, conclut en disant qu'il ne peut pas faire d'enfant, même s'il aimerait bien, peut-être, mais ce ne serait pas raisonnable. Je lui ai répondu qu'après avoir entendu ça, je préfèrerais que la terre soit peuplée de ses descendants à lui, je me sentirais moins mal barrée. Les décroissants doivent penser à ne pas décroitre trop vite, sinon ils vont juste disparaître et laisser la place aux autres.

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