Le passeur, Lois Lowry
Avis Chrono'
Très bon roman jeunesse! Qui part d'un monde idéal qui pour une fois ne se révèle pas être, par la suite, si coercitif qu'on en a l'habitude dans ces romans d'anticipation. Un livre qui se dévore, à ne pas manquer.
Je sais, paraît que j'étais la dernière personne au monde a ne pas l'avoir encore lu!
L'attente exacerbe le plaisir, c'est bien connu! Après un an à me faire du pied sous la p.a.l., Le Passeur a obtenu l'insigne honneur d'être choisi par moi dans une bibliothèque clandestine! Tout cela pour être dévoré en quelques heures. (Grâce à un garage Opel et à un sanglier, que je remercie vivement, s'il n'a pas déjà fini en ragoût). Si vous aviez encore quelques doutes sur le degré d'aventurosité de ma vie ou sur ma santé mentale, j'espère que c'est réglé.
Dois-je vous faire un petit résumé ou vous laisser, vous construire à partir du titre et de l'illustration de la couverture l'idée d'un gamin qui entre dans la résistance pendant la seconde guerre mondiale? C'est le problème des livres qu'on attend trop longtemps pour lire, ils finissent par mener dans nos esprits une double vie parallèle: ensuite, quand on les ouvre, on se sent floué!
Ici, dans le bon sens! C'était mieux que l'image que je m'étais fabriquée!
Pas de plongée dans le passé pour ce Passeur. Tout débute par une utopie. Monde parfait, où chaque soir et chaque matin les individus, dans leur cellule familiale (papa, maman, un garçon, une fille), décortiquent leurs émotions pour les désamorcer. Où une pillule annihile tout désir, où la place de chacun est choisie par l'ensemble de la communauté lors d'une fête annuelle. Pas de jalousie, pas de frustration, pas de crime puisque la loi est intériorisée dès le plus jeune âge, ni de chagrin. Même la mort est dissimulée derrière des euphémismes délicats.
Jonas est un jeune garçon. Comme dans beaucoup de romans qui traitent d'adolescent, romans d'apprentissage (je pense à la Voix du Couteau), il est sur le fil, à une période clé de sa vie: il va devenir un douze-ans et recevoir l'attribution de son métier mais rien ne se passe comme prévu et la tâche qu'on lui confie est très spéciale.
Si j'ai aimé ce livre, c'est d'abord pour sa non-originalité: j'adore quand on essaie de me peindre un monde idéal en sous-entendant déjà, par de petits détails, ce qu'il peut avoir de dangereux, de troublant. Je pourrais lire cent récits sur ce thème sans m'en lasser. Souvent ces mondes se ressemblent, comme si nous avions tous, au fond de nous, la même image du bonheur parfait. Avec au dessus, une main autoritaire prête à mettre une petite tape et à dire "Pas toucher", qui fait que l'auteur se sent obligé d'y inclure de la noirceur, des avertissements - ben oui, juste au cas où il prendrait l'envie à quelques imbéciles d'essayer de re-créer ça dans notre monde à nous.
Justement, la singularité du Passeur - et c'est là que j'ai craqué - c'est que plus on avance dans le livre, plus on est surpris par les non-rebondissements. Je m'attendais à continuer sur la même voie toute tracée: le héros s'aperçoit d'un truc étrange, puis d'un truc inquiétant, puis d'un truc inhumain et enfin il découvre que tout est gouverné par un dictateur omnipotent pour un lavage de cerveaux général à 90°C réglé sur "non-délicat".
Dans celui-ci, même à la fin, j'ai réussi à conserver l'idée que tout n'est pas inhumain dans cette utopie, qu'elle fonctionne, d'une certaine façon même si Jonas évidemment va avoir envie d'autre chose.
Je me trompe peut-être. Probablement, même, aurais-je dû comprendre l'inverse. Que ce monde aux apparences parfaites est un dangereux repaire d'empêcheurs de vivre. (Je vois quel détail on pourrait m'objecter. Ne vous en privez pas! Les commentaires sont là pour en débattre).
Je ne sais pas si j'ai été claire. Je reformule. J'ai aimé que dans ce livre - jeunesse, c'est d'autant plus méritoire! - ce ne soit pas blanc d'un côté, noir de l'autre. J'ai vu pas mal de teintes intermédiaires et usant de mon droit de lectrice, personnellement, j'y suis restée, satisfaite. Sans avoir l'impression de trop tirer à moi la couverture du texte et de tout déformer.
Par conséquent, je n'ai pas du tout goûté la fin. Il en fallait une, soit, elle est correcte. Pour moi, inutile.
Je me suis arrêtée de penser un peu avant, quand j'ai conclu pour moi-même que le seul désagrément de cette façon de vivre, est qu'elle s'impose à tous, alors qu'il faudrait pouvoir choisir. Jonas choisit, il a raison.
Ce livre pour...?
Les ados qui ont du mal - et je les comprends - à se lancer dans la S.F. pure et dure.
Donc, aussi, pour les adultes dans le même cas!
Ce roman me permet un doublé dans les challenges Livraddict: