Comme une bête, Joy Sorman
Avis chrono'
Encore un livre qu'on dirait écrit tout exprès pour moi. J'ai beaucoup de peine à le décrire, faute d'histoire. C'est une question de sentiment, de coeur, de poésie. Des mots très justes, que je jalouse. Ne vous laissez pas rebuter par le sujet, rien que pour l'écriture, c'est à essayer.
Je ne mange quasi pas de viande rouge... mais j'ai eu un vrai coup de coeur pour ce roman qui, dans une écriture que j'ai trouvée magnifique, décrit minitieusement l'amour qu'on peut avoir pour un métier. Pourtant, on en remue, de la chair. On ne nous épargne rien de la réalité, des manipulations, des transformations, du sang. Tout ce qui m'écoeure d'ordinaire est ici sublimé.
On peut faire de l'art avec n'importe quoi - dit la nana qui a été traumatisée par sa visite du Guggenheim - de l'art avec des lames de rasoir, des collants remplis de sable, des huitres, du pain, des vélos, des poubelles, ou un seul tube de peinture si c'est la dèche.
Alors, quoi de plus normal que ce roman, hybride improbable mais réussi d'oeuvre littéraire et de brochure ONISEP ? Pim est un adolescent que l'école ne passionne pas. C'est avec plaisir qu'il entame son apprentissage en boucherie. Si on peut parler d'intrigue dans ce roman, elle est toute entière contenue dans ces deux phrases.
Soyons franc, pour ne décevoir personne, il ne se "passe" rien, au sens où on l'entend d'ordinaire. C'est simplement le portrait lyrique, parfois à la limite du délirant, d'un jeune homme fou d'amour pour la viande, sa texture, son odeur. Pim est en quête de la meilleure viande avec la même ferveur qu'on le serait du Graal. Il lit, il participe à des conférences. Apprenti, il visite les abattoirs, plus tard, boucher installé à son compte, Rungis.
Pim est méticuleux. Tantôt froidement appliqué, tantôt tendrement impliqué. Il est bon de se souvenir avec lui que l'homme peut aimer l'animal ET le manger.
Au passage, on aborde quelques uns des défis alimentaires qui nous attendent dans les prochaines décennies. Place précaire de l'artisanat, nombre croissant d'humains qui ont les moyens d'acheter de la viande, agriculture intensive, élevages d'insectes...
C'est la belle écriture de Joy Sorman que je retiendrai avant tout. Ce livre est exactement ce que je nomme, quand je cesse de plaisanter, de la littérature. Prendre n'importe quel sujet, même le moins confortable, et le rendre doux et chaud.
Deux choses toutefois m'ont gênée :
- Ces passages où brusquement on bascule dans l'absurde. Le duel dans la forêt, le coup de se foutre à poil pour "essayer" la chaîne d'abattage vue depuis la position animale, et quelques autres trips qui certes, renforcent ce côté littéraire en plaçant bien à distance, pour le coup, le simple éloge du métier mais sont un peu "too much" à mon goût.
- La fin, qui est le prolongement de ces envolées délirantes.
Je suppose que c'est un livre qui peut être détesté, parce qu'il est très différent. Il se détache. Mais je le répète, je l'ai adoré, je suis prête à le défendre. Je l'ai trouvé intense, étrange et intelligent.
A vous de vous faire une opinion !
Commentaires
Tu ne l'as pas ajouté finalement la citation que tu m'as lue? Dommage, elle est chouette et plutôt parlante pour illustrer tes propos sur la qualité de l'écriture.
Par contre, même si tu le défends bien, je ne crois pas que lire un roman qui traite de l'amour de la viande par un apprenti soit dans mes cordes :)
Tu es sûre? ça change comme lecture. Il faut oser parfois sortir des habitudes.
Bah ramène le dans tes bagages, sait-on jamais ^^
Oh et je sors quand même de mes habitudes en ce moment non? (fantasy, bientôt de l'historique... peut-être du jeunesse...)