Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Tombe à retardement

La force de vivre #1

pensez covid les amis,ce sont les memes mécanismes,tchernobyl,à l'école centrale,alexievitch,nom d'auteur à taper très lentementLa supplication, Svetlana Alexievitch

J'ai vérifié : j'avais mes règles quand j'ai rédigé l'intro. J'ai peut-être été un poil sévère. Je désavoue la moitié de mes commentaires hargneux et on repart sur de bonnes bases ?

La supplication est l'approche d'un fait - explosion de la centrale de Tchernobyl en 1986 - par une succession de courts témoignages, matière très brute qui donne l'impression d'avoir été peu travaillée. Certains chapitres pourraient même être retranscrits d'un débat public, avec les voix qui se mêlent. C'est l'inverse d'une démarche historique. Ni preuves, ni dates, ni chronologie, rien que des gens, des souvenirs, pour entrer par l'émotion dans un drame dont l'impact a peut-être été érodé par l'analyse des faits.

C'est d'autant plus drôle dans ce cadre - études supérieures, thème imposé - qui implique que l'on cherche à dire quelque chose de l’œuvre ou à lui faire dire quelque chose, qui servira de démonstration ou d'exemple, de matière à réflexion, amusant, donc, je trouve, de partir de ce qu'il y a de plus subjectif, l'opinion d'individus aléatoires.

Doit-on considérer qu'il y a vraiment une autrice ?

Non, si ce n'est dans le choix des titres... Ne perdez pas votre temps à essayer de comprendre pourquoi tel témoignage se trouve dans telle section. Mme Alexievitch n'aurait-elle pas un petit faible pour les titres? hmm?  Elle a profité de l'occasion pour caser "la couronne et la création" et "admiration de la tristesse". C'était là ou jamais.

Si, quand même, il y a construction. Les climax émotionnels sont placés au début et à la fin, avec les détails atroces et les histoires d'enfants.

Je reste d'accord avec moi-même-en-mode-hérisson (c'est doux sous le ventre, les hérissons, ma femme confirme.*) les témoignages ne nous éclairent nullement sur une force de vivre individuelle.

"Je n'avais plus aucun désir de vivre." Notez l'usage du passé et la première personne et déduisez que ça s'est arrangé. Comment ? Mystère... Une page plus loin elle est remariée. Elle ne sait pas comment on survit à ça, personne ne sait, ce livre est une avalanche de "c'est ainsi", "il fallait bien""Ivan... Ivan, comment dois-je vivre ? Et il ne répond rien, ni en bien, ni en mal. "

Je ne m'étais pas non plus trompée sur la manipulation qui conduit de jeunes hommes à se sacrifier. "Il y a eu tout de même un élan héroïque. Bien sûr il n'était pas totalement spontané."  Il y a le communisme, bien sûr ("J'ai reçu des ordres et j'y suis allé. J'étais membre du parti."), et la bonne vieille pilosité des roustons, j'suis pas un lâche / on est pas des gonzesses. Et le nationalisme "il est comme ça notre peuple", "nous vaincrons. Nous, les chevaliers. " Et la vodka. Jusque là, j'avais bien cerné le thème mais...

J'ai demandé à ma belle sœur ukrainienne, plus jeune que moi, ce qu'était Tchernobyl pour sa génération. Elle m'a répondu "un lieu cool / populaire, à visiter, une attraction depuis environ 10 ans." Avant cela, quand elle était plus jeune, on en parlait très peu. Un tabou.

Trois décennies seulement. Un parc d'attraction? J'ai médité ensuite, pas tant sur sa réponse que sur ma réaction à sa réponse (un peu surprise, un peu "c'est pas très sérieux ça", un peu "on est mal barrés"). Il aurait fallu qu'elle, parce que plus proche géographiquement - une absurdité compte tenu de l'étendue des effets de la radioactivité dans l'espace et dans le temps - ait davantage l'air préoccupée, soucieuse, que moi ?

Je m'en fous de Tchernobyl, non ? J'ai flippé avec Fukushima puis je n'y ai plus pensé. Je trouve ça horrible, j'ai peur que ça arrive à nouveau, j'ai le vertige quand je pense au temps de dégradation des déchets... mais pas vraiment non plus puisque je vis à quelques kilomètres d'une centrale, comme beaucoup de gens. J'ai plusieurs ordis, la télé, le chauffage électrique. Je ne milite contre rien. Ma boite a même un département nucléaire et il y a des tirs radio la nuit dans le bâtiment où je travaille. Je ne m'en inquiète pas. Je fais confiance. J'arrive le matin et je me dis que c'est safe.

Je sais ce que j'ai raté dans l'intro, j'ai encore oublié l'espèce ! Comme toujours, je considère mes semblables un par un et j'ai envie de les pousser dans un ravin. Presque tous. Sauf ma famille, Bruce Willis, les doux-rêveurs et les jolies filles.

"L'impensable s'est produit : les gens se sont mis à vivre comme avant. Renoncer aux concombres de son potager était plus grave que Tchernobyl." Je ne trouve plus ça idiot. C'est touchant, quand on y réfléchit. S'il n'y avait que des pleutres comme moi, qui emballe ma fille dans un matelas pour faire trois pas dans l'herbe, on ne ferait plus rien.

"Nous étions téméraires", dit l'un des témoins. Il en faut. Il en faut absolument. Il nous faut des pompiers. J'ai été marquée par ce type qui a plongé pour ouvrir je ne sais quelle vanne, dans une eau radioactive. Il le fallait, lui, pour en sauver beaucoup d'autres. Même quand j'étais cynique, je ne niais pas que l'héroïsme existe. Je disais que c'était bien pratique. Si on veut une armée, il faut des esprits convaincus qu'on peut mourir pour la patrie. L'espèce est aveugle aux individus, elle ne considère que le solde net, d'une génération à l'autre. J'oubliais à la fois que c'était pratique pour moi et que c'était indispensable à l'humanité.

Dans le corps humain tout fonctionne par paires, aux muscles agonistes les muscles antagonistes, si l'on sécrète une hormone il faut pouvoir la stopper et si l'on s'endort, se réveiller.

"Dans la vie, des choses horribles se passent de façon paisible et naturelle." Parce que sinon, quoi ? La paralysie de la peur? C'est normal d'oublier la terreur, de vivre sur une terre ravagée. C'est la force de vivre de l'espèce. Pour un qui aura peur, un autre ira ira boucher le trou de l'enfer. Il ne peut pas y avoir que des immobiles.

"La première fois, on a la trouille. Puis ça devient une chose normale. [...] il a franchi le seuil de l'instinct de conservation. Dans un état normal, ça n'est pas possible". 

Certains sont très amers. Après coup, ils prennent conscience de ce qu'ils ont fait. De la mort qu'ils ont récoltée ou semée. D'un point de vue individuel, une folie. D'un point de vue collectif, l'atout majeur de l'espèce pour se préserver. ça prend tout un tas de forme, dont l’inconscience qui conduit à ne pas porter de protection, même quand il y en a à disposition. Là encore, si on considère l'individu, c'est stupide; Mais c'est lui qui ira au feu, parce qu'il ne vit pas avec la même peur. Certains mettent même le doigt sur le moteur de tout ça "j'ai vécu le plus intensément".

"Mais c'est aussi une sorte de barbarie... Nous disions toujours "nous" et pas "je" "

Ce fut une lecture appréciée. Il y avait beaucoup à en penser et à en dire, même si ça s'éloigne déjà dans ma mémoire. Tout est question d'équilibre. La force que vous n'avez pas, quelqu'un l'aura, et le courage. Et si à l'inverse vous sacrifiez bêtement votre vie, un autre qui se sera préservé tâchera de faire quelque chose du temps supplémentaire que votre sacrifice lui aura accordé.

Il y a une certaine beauté au cœur des choses les plus atroces - c'est un tel lieu commun que parfois, j'oublie combien c'est vrai. En témoignent ceux qui évoquent la nature, les animaux, l'amour, au sein du chaos. A travers les récits j'ai moi-même trouvé de la beauté à des choses qui n'en devaient pas avoir. Comme cette image des maisons que l'on enterre toutes entières. Et surtout, de la terre que l'on enterre. Une beauté absurde qui me correspond bien.

Voilà. Je n'ai pas été insensible - en témoignent mes tonnes de notes malheureusement impossible à relire à froid et mes e-pages cornées dans tous les sens. Je n'avais rien tant décortiqué depuis Sapiens !

"après l'apocalypse", dit le sous-titre. Après la fin. C'est rassurant. ça veut dire qu'il n'y a pas de fin. J'aime vraiment beaucoup cette idée.

 

 

* Elle confirme pour les hérissons, pas pour mon ventre, quoi que...

Les commentaires sont fermés.