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  • A l'abri des lecteurs

     

    This is a great book. Nothing else. Really.

    Thanks for coming, goodbye.

    Manuscrit-refuse-finkel.jpgAu paradis des manuscrits refusés, Irving Finkel

    Excitante invention que cette "bibliothèque des refusés" où sont reçus à bras ouverts les livres moqués des éditeurs et jamais publiés. Cette idée géniale se développe, farfelue dans ses moindres détails, avec son peuple pittoresque de bibliothécaires, imprégnés de la grandeur de leur mission, avides de nouveaux legs et bien décidés à ne pas se laisser mettre de bâtons dans les roues par du vulgaire public !

    Un passage à la Cyrano nous présente une série de lettres de refus qui accompagnent bien sûr les dépôts de manuscrits.

    Cher Monsieur,

    En dépit des 47 rudes années que je viens de passer dans l'édition, je ne parviens pas à comprendre comment quelqu'un peut oser écrire un manuscrit tel que celui que vous nous avez envoyé. C'est peu dire que cela relève d'un scandaleux gâchis de papier dactylographié. 

    L'écriture en vers est un art

    Que nul ne maîtrise au hasard;

    Or, vos efforts

    Vous donnent tort :

    Vous ne convaincrez nulle part

    Cher "espérant" de Goldaming,

    N'espérez plus.
    Renoncez.

    Sincèrement,

    Les Huiles, agence littéraire

    Le thème est une trouvaille ! Cependant dès le chapitre trois... Attendez une seconde...
    L'auteur est assyriologue et Conservateur au British Museum. Qui dit conservateur dit longévité... il risque d'être encore vivant. Je vais prendre mes précautions avant de me plaindre et lui mettre un petit mot au cas où, en haut de l'article.

    J'ai déchanté en raison de la structure du roman, qui s'avère plutôt un recueil de sketches consécutifs. On pourrait en faire une de ces mini-séries qui passent le soir avant ou après les infos. Même lieu, mêmes personnages et nouvelle aventure à chaque fois. J'ai pris l'arrivée d'une personne extérieure, une homologue américaine, pour l'élément déclencheur, mais quelques chapitres plus tard son sort était réglé et on passait à autre chose.

    Je me suis habituée ensuite à passer d'un thème à l'autre et quelques passages sur le monde de l'édition, ainsi que la réflexion sur ce qui est digne ou non de passer à la postérité m'ont plu. Globalement, c'est correct comme lecture.

    Mais dernier bémol de poids :

    Partons de cette conclusion : "elle était indéniablement, inoubliablement, mortellement belle". Je suppose que vous devinez ce qui précède dans le paragraphe? Pour être belle il vous faut : "jeune", "mince", "balayage auburn", "étole en fourrure", "veste cintrée", "jupe fourreau" et et et "cuissardes moulantes", "bijoux sophistiqués", "voiture de sport rouge de marque italienne".

    Comptez vos points, mesdames ! Et partagez, qu'on rigole.

    Je vous promets que je n'invente rien, c'est bien le portrait d'une seule femme. Je vous ai épargné le parfum et l'épaisseur des lèvres. Et le soir même elle couche avec un (ou plusieurs ?) membre du personnel.

    Dans ce roman, femme = secrétaire efficace/figure maternelle, vieille fille ou alors adorable potiche, tentatrice infiltrée, séductrice diabolique... La routine du petit masculiniste. Rien de traumatisant ni de franchement misogyne, c'est gentil, ça part d'un bon sentiment, comme d'hab. Mais ça commence à bien bien bien me saouler.

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  • Le don des soupirs

    delphine, féminisme, folio, StaëlDelphine, Madame de Staël

    J'ai fait mon service littéraire ! Je sors d'un roman de 900 pages estampillé "République Française", "Ministère de la culture" et "Commémorations nationales".  J'ai l'impression d'avoir été décorée. Engagez-vous, qu'ils disaient, Mme de Staël est une éclaireuse du bataillon féministe, "romancière dans un monde où les femmes sont réduites au silence". Je me suis rendue à ces arguments, vous pensez bien. 

    Un mois de lecture, plongée dans des "n'y point déroger", des "aimables dispositions", de "vives affections". Même les subjonctifs me séduisent. Il s'en est fallu de peu : cent pages de plus et je comprenais enfin quand et comment m'en servir.

    Je trouve à ce langage beaucoup de charme, mais comment en convaincre quiconque quand il faut déjà une heure de débat acharné pour justifier que l'usage du vouvoiement n'est pas une marque de froideur de ma part et qu'on peut dire "bonjour" et non pas "salut" sans pour autant être de mauvais poil ?

    J'ai croisé un "je prévis" ! Quand avez-vous croisé un "je prévis" pour la dernière fois, vous ?

    Ah, si. J'en connais une qui doit croiser souvent le verbe "prévoir", c'est celle qui a rédigé tout le bazar autour du texte. Les notes de mon édition saccagent joyeusement toute chance de conserver un peu de suspense.
    Les notes un peu utiles alternent avec d'autres, imprévisibles, qui s'appliquent davantage au roman dans son ensemble qu'à l'endroit où elles sont insérées. Note page 296 : "Le roman par lettres, émanant de scripteurs qui ont différents degrés de connaissance de la situation, multiplie les hypothèses plus ou moins fausses sur la conduite et les motivations des autres personnages." Certes.

    Quant au féminisme, le plaidoyer le plus efficace n'est pas venu d'où je l'attendais. Les arguments de l'héroïne, bien que pertinents, m'ont moins touchée que les propos de son ennemie, qui illustrent mieux l'impuissance pour une femme à emprunter une autre voie que celle qui lui est dictée par la société de son époque.

    Delphine est une histoire d'amour et de trahison. Delphine aime Léonce, tous deux sont libres, mais une garce qui veut marier sa fille les manipule et leur amour est empêché. Le quiproquo autour de ce mariage dure un bon moment (meilleure partie du livre). Si on ne m'avait pas tant taquinée sur mon côté fleur bleue, j'aurais peut-être tenu les 900 pages le coeur tout palpitant, mais que voulez-vous, je n'assume plus, je fais la blasée et je préfère rire des personnages dont l'excès d'émotions violentes est manifeste. 

    "Qu'est ce que l'amour sans enthousiasme ? "

    On s'évanouit beaucoup, dans Delphine. Pour le coup l'égalité des sexes est respectée et à en croire l'héroïne, il entrait autrefois moins de testostérone et de muscles saillants dans la définition de la virilité. Delphine les aime faibles/malades/blessés et glissant lentement vers le plancher dans un soupir d'agonie. Là, elle kiffe grave. 

    Et en plus, ils changent tous très souvent de couleur, comme une guirlande, un coup rouges, un coup blancs. 

    "Quand Delphine s'endort, il rougit et pâlit au moindre bruit qui pourrait l'éveiller."

    Comme dans bon nombre de romans de ce genre, l'intro nous informe que ce sont des lettres réelles.

    Capture.PNG

    C'est fou quand même. On ne devait pas pouvoir traverser une rue sans marcher sur un manuscrit abandonné ou un tas de lettres émanant de vingt personnes différentes, ficelées gentiment ensemble pour raconter une histoire cohérente.  

    La vie privée ? Ahahah On fait lire à l'un les courriers d'un autre, on copie, on résume. 
    Et quelle mémoire, quand une lettre retrace mot pour mot, sur 3 pages, une conversation tenue la veille. Les lettres passent de mains en mains mais les secrets ne sont jamais interceptés. 

    Quant aux domestiques, la mode n'est pas encore à en faire des personnages du roman. Ils sont des silhouettes laborieuses. Mais je me suis plu à les imaginer, témoins de ces innombrables rebondissements, papotant en cuisine, scandalisés. On ferme des portes, on les rouvre, on fait des valises, on ne part plus, on reçoit en cachette, on perd connaissance presque chaque jour... 

    Cependant, en dépit de mes moqueries, quand on enlève 400 pages de pâmoison, ce qui reste ressemble à n'importe laquelle de nos idylles qui tournent mal, rien ne change, à toute époque, aimer, ça pique. 

    L'honneur, thème crucial de l'intrigue, est présenté davantage comme un barème appliqué de l'extérieur, par les autres, que comme une jauge personnelle de notre attitude, ce qui m'a pas mal fait réfléchir. Je sens qu'il y a quelque chose à creuser là dedans, ça devrait revenir au même, non ? 

    Le contexte politique, j'ai survolé. C'est nouveau pour moi, de penser la révolution à partir de ce cercle noble et aisé, j'ai appris des trucs.

     "Ce qui est surtout impossible, c'est de concilier entièrement en sa faveur l'opinion générale, lorsqu’un fanatisme quelconque divise nécessairement la société en deux bandes opposées. "

    Le thème que j'ai préféré tient dans cette citation, référence à Léonce, trompé parce que sensible à ce qui a trait à sa réputation. :

     "On ne gouverne jamais personne que dans le sens de son caractère."

    Autrement dit, inutile de se plaindre d'avoir été influencé, on ne peut l'être que dans une direction compatible avec nos désirs. 

    Exactement ce que dit Messmer  ^^