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Pêcheresse d'Islande

vieille bique,guerre,autobiographie d'une fille gagaLa femme à 1000°, Hallgrimur Helgason

Avis chrono'

Un roman islandais que je ne risque pas d'oublier de sitôt! Quel personnage que cette vieille dingue qui attend la mort, enfermée dans son garage avec un ordi, une grenade, et une vie détonante. Une autobiographie drôle et douloureuse qui par bien des côtés nous fait oublier qu'il ne s'agit que d'une fiction.


C'est exactement ça, la mémoire, non pas de belles rangées d'étagères confiées aux soins d'une équipe de méticuleux archivistes mais un lac froid et sombre d’Écosse, profond, à la surface duquel peuvent surnager quelques souvenirs comme autant de leurres qui masquent ce qui se trouve en dessous et qu'on a pris soin de lester: nos traumatismes, nos chagrins, nos erreurs et nos fautes passées. Mais pas seulement, ce serait trop simple.  S'y trouvent aussi les souvenirs les plus précieux, à l'abri des regards. Les trésors.

Voilà la matière de cet incroyable roman, d'autant plus époustouflant qu'il ne s'agit pas de souvenirs réels, mais d'une fiction écrite par un islandais qui se glisse dans la peau d'une octogénaire, qui meurt depuis près d'une décennie d'un cancer et termine ses jours dans un garage, faute d'avoir su inspirer à ses fils assez d'amour pour elle durant sa vie.

"Mais mes garçons ne savent même pas si on m'habille ou m'autopsie. Ils ne semblent plus comprendre que pour naître en ce bas monde il leur faut une mère. Ils n'y seraient jamais arrivés par leur propre mérite. Non, il leur fallait une mère aux lèvres lascives, à la vulve velue pour expulser cette vermine bâtarde à travers le tunnel jusqu'à la lumière."

Je n'arrive toujours pas à croire qu'elle n'existe pas, Herbjörg Maria, dite "Herra",  cette narratrice à la voix si particulière, qui connaît bien des langues, née dans un pays où le silence est roi.

"C'est pour cela que la langue islandaise n'a pas changé en mille ans: nous ne l'avons jamais utilisée. [...] Les seuls outils véhiculant la langue étaient les susnommés sermons, les épigrammes et le courrier. L'islandais était une langue bien plus écrite qu'orale. Ce ne fut pas avant l'apprentissage de langues étrangères que nous nous rendîmes compte qu'il était possible d'utiliser la nôtre à d'autres fins que la poésie, l'écriture et la lecture".

Bien sûr, le contexte historique est le fruit d'une longue documentation. Curieusement, c'est l'endroit par lequel se devine la fiction car à en croire son récit, Herra aura été en chaque endroit qui a fait l'histoire du 20e siècle, en Europe, en Amérique du Sud, et aura croisé nombre de grandes figures. Il est invraisemblable de condenser autant d'évènements en une seule vie.

Le ton pris pour décrire l'Islande ( sa géographie, la mentalité de ses habitants, surtout) est la première chose qui m'a séduite. Ce roman est bien souvent drôle, cynique et poétique. Une écriture de grande qualité. J'en ai même été parfois décontenancée.

"Le médicamentisme est à vrai dire un polythéisme. Il offre quelques centaines de milliers de dieux, et chacun peut choisir celui ou ceux qui lui conviennent le mieux. C'est donc une religion bien plus accessible que le christianisme, qui n'offre le choix qu'entre un père, un fils et un saint-esprit. De plus, on trouve des églises médicamentistes presque partout dans le monde, marquées d'une croix verte."

Mais Herra fait tout le reste, dans sa pêche aux souvenirs. Elle a déjà réservé sa séance au crématorium. Il lui reste juste le temps de se mêler de la vie de ses fils qu'elle ne voit jamais, de se faire passer pour Miss Monde sur Facebook et d'ouvrir toutes les boîtes à souvenirs, en petit démon farceur. Car si son ton est celui, qui nous amuse fort, d'une vieille bique complètement timbrée, c'est surtout parce que son enfance, pendant la seconde guerre mondiale, aura été parsemée d'horreurs. Voilà une femme qui aura vécu toute une vie "en réaction à". Son père, sans doute l'unique nazi islandais, figure qui imprègne l'ensemble du roman, lui laisse avant de partir cette fameuse grenade qui traversera tout le reste du siècle dans ses poches, qu'elle fera passer pour une boule réfrigérante ou pour un parfum et qu'elle couve à présent comme un oeuf.

Avant de sauter dans la tombe, Herra plonge dans le lac des souvenirs. Ce serait du gâchis de partir et d'abandonner tout ça. Les plus lourds seront pour la fin, bien sûr, car ce sont ceux qui ont coulé le plus profond. Il y a de quoi faire, avec la violence. La violence sexuelle, ou celle de la guerre. Si Herra s'est tant donnée aux hommes c'est sans doute parce que depuis toujours, ils lui ont beaucoup pris par la force...

 Autres citations:

"Oui, oui, j'ai porté les mêmes fichus sous-vêtements pendant quatre ans! Mais, d'une certaine manière, on n'avait pas à se plaindre; bizarrement on était heureux. Désormais, je me réveille avec l'odeur du café et le chant des oiseaux, et je passe ma journée, inquiet, à me demander si mon patron est satisfait de mon rapport ou si ma femme me trompe. Et je désire plus que tout une pluie de balles sur le crâne."

"Il n'est rien de plus effrayant que la paix pour l'homme."

Un grand merci aux Presses de la Cité et au site Babelio pour m'avoir proposé ce livre en Masse Critique!

Lien permanent Catégories : Urgences 6 commentaires

Commentaires

  • Je n'étais pas certaine d'avoir envie de le lire et finalement, ta chronique m'intrigue... Peut-être que je pourrais tenter !

  • Tiens. Tu en avais entendu parler sur d'autres blogs? De mauvais avis?

  • Comme toi, j'ai adoré ce bouquin unique en son genre ! Il sera difficile d'oublier un personnage tel que Herra maintenant :D

  • Tiens, en lisant le paragraphe après la deuxième citation, ce que tu dis m'as fait penser à cet autre personnage complètement invraisemblable d'Allan Karlson dans Le vieux qui ne voulait pas... Est-ce une erreur de rapprocher ces deux personnages? Ils m'ont l'air aussi loufoques l'un que l'autre. J'aimerais bien découvrir ce personnage d'Herra...

    Joli choix de citations, ça donne le ton ^^

  • Oui, comme C'era, le fait d'avoir beaucoup d'évènements historiques condensés en une vie ne ressemble-t-il pas au vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire ?

  • @ Ollie : Oh... oubliez, si , ça, c'est dans mes cordes! Mais ça reste un excellent livre.

    @ C'era et DoloresH : Je n'ai pas un seul instant pensé à Allan... Et même maintenant, je vois ce qui vous fait penser ça, mais non, je n'arrive pas à faire le lien; Ce sont des livres trop différents. Il n'y a pas de portée, dans "Le vieux..." . Comment dire? ça ne va pas plus loin que le ton bouffon et en aucun cas on ne peut penser qu'il s'agit du récit d'une véritable vie.
    Herra, c'est différent. La raison nous indique qu'il est très improbable d'avoir vécu tout cela, mais le ton fait douter. J'imagine parfaitement la personne qu'elle peut être, dans ce garage.
    J'ajoute que ce roman-là est d'une tout autre qualité au niveau de l'écriture.

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