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C'est mon fils, ma bataille

défendre jacob, landay, mine de rien une réflexion profonde sur le systeme judiciaire, hérédité du crime, médiatisation des proces, présomption d'innocence, manipulation des jurés, un thriller a mettre entre toutes les mains pour ouvrir l'esprit, coup de coeur de sound ^^Défendre Jacob, William Landay

Avis chrono'

Subtil compromis entre l'amour sincère de la justice et le dépit de devoir constater ses imperfections, Défendre Jacob se fait l'écho d'une réflexion très fine sur le système judiciaire américain, bien emballée dans une intrigue à suspense qui tient parfaitement la route. Vous empaquetez tout ça, un beau ruban sur le dessus et zou, sous le sapin.


"L'idée que le meurtre puisse regarder l'Etat est relativement moderne. Car, pendant la majeure partie de l'histoire de l'humanité, l'homicide est resté une affaire purement privée." (J. Eisen, Murder: A history)

Nos télévisions regorgent de séries policières, d'analyses scientifiques de scènes de crimes... Pas une soirée sans sa brochette d'experts. Le meurtre en est devenu écoeurant de banalité. Réduit à des trainées de poudre, des impacts de balles, de microscopiques traces organiques.  Au terme des 50 minutes d'enquête, le coupable est arrêté. L'épisode aussi.

Défendre Jacob, c'est un roman qui prend le contrepied. Qui s'interroge, au delà de l'enquête, sur le sens du mot justice. Sur la notion de culpabilité, un peu, mais surtout sur l'impact humain d'un procès. Les 4/5 du livre sont proches de la perfection. Je déplore, encore une fois, cette manie de vouloir nous accrocher dès le début en nous balançant les minutes d'un futur procès pour nous laisser entendre qu'il va se passer quelque chose d'inatendu à la fin. J'aurais pu attendre. J'aurais été encore plus surprise à la fin. Mais sans doute que l'on prend les lecteurs pour des consommateurs avides et impatients.

C'est dommage, le reste est si bien fait. Le narrateur est un père presque comme les autres. Mais il est procureur. Un angle qui permet, lorsque son grand ado taciturne se retrouve accusé du meurtre d'un de ses camarades, de rendre compte presque de l'intérieur de la procédure qui se met en place. A la fois la vision d'un juriste, qui sait comment se tirent toutes ces ficelles. Et celle du père.

Les deux choses sont aussi bien menées l'une que l'autre. Je suppose que l'auteur appartient à ce monde, tant ses réflexions sur le fonctionnement de la justice, sur cette notion même, sont percutantes.

"Ils n'avaient aucun point commun, si ce n'était un manque flagrant de qualifications pour cet emploi. Leur ignorance du droit, du fonctionnement des tribunaux, et même de cette affaire, dont la presse et les journaux télévisés s'étaient pourtant abondamment fait l'écho, était presque comique. Ils avaient été choisis pour leur inculture totale en la matière. Voilà comment le système fonctionne. A la fin, avocats et juges s'éclipsent gaiement et laissent les clés à une douzaine d'absolus amateurs. Ce serait drôle si ce n'était pas aussi aberrant."

Sans donner l'impression d'être artificielle, l'intrigue progresse en nous permettant d'examiner toutes les facettes de ce système. Il y a une telle foi, une telle confiance en la justice derrière ces mots. Une telle rage, aussi, d'en constater les dysfonctionnements, les aberrations...
De grandes questions sont abordées: rappel du droit de tout être humain, quel que soit le crime dont on l'accuse, à une défense de qualité.  Valeur des preuves scientifiques, biais humains, marge d'erreur, techniques de manipulation des jurés.  Place de la génétique dans la justice et de la dangereuse notion d'hérédité: peut-on hériter de la violence comme on hérite de sourcils épais ou d'yeux bleus?
Il y a quelque chose du parcours initiatique pour le lecteur, dans ce roman.

"[...] un vieil artifice judiciaire, la "preuve par propension" : puisque l'accusé a tendance à commettre tel genre d'actes, il a forcément commis celui-ci, même si rien ne le prouve. [...] l'accusé est un braqueur de banques; une banque a été braquée - je vous laisse conclure..."

Ajoutez encore quelques remarques fort pertinentes autour des thèmes de la médiatisation des procès, ou de l'évolution de nos sociétés et  l'impact que cela peut avoir sur le système judiciaire.

"Contrairement à un coup de fil, ce mode de communication était écrit: il généraient eux-mêmes une transcription de leurs discussions. Le Web est un rêve de procureur, un moyen de surveillance et d'enregistrement à l'écoute des secrets les plus intimes et les plus scabreux, les plus indicibles même. Encore mieux qu'un micro planqué: c'est un micro greffé à l'intérieur des têtes."

Le plus incroyable, c'est qu'à côté de tout cela, il y a le  thriller, parfaitement mené lui aussi. Qui ne serait pas troublé par cette histoire? On aime ses enfants, on leur fait confiance. Un jour, quelque chose d'horrible arrive qui pourrait nous forcer à les voir différemment.

Jacob est effrayant parce qu'il est normal. Il s'enferme dans sa chambre. Regarde un peu de porno. Passe du temps sur Facebook, ne parle guère à ses parents. Est-ce un monstre? Pendant tout le récit, nous ne pouvons que nous demander s'il est coupable. L'auteur s'applique à nous faire partager les pensées des parents. Qui coulent peu à peu, perdent tout, engagent leurs économies pour défendre leur fils parce que le système judiciaire américain est ainsi conçu. Coupable ou innocente, il va broyer la victime financièrement.

Les parents oscillent, encaissent. Ils sombrent. Ils refusent de croire leur fils coupable. Ils refusent même d'y penser. Ils s'épuisent à fermer leur esprit à cette odieuse pensée, qui rôde, qui les harcèle. Et si...

Peut-être ai-je un peu été déçue des toutes dernières pages, d'une qualité moindre que tout ce qui précédait. Mais l'ensemble...  je le garderai bien longtemps en mémoire. Je trouve très sain de mettre sur la table toutes ces questions et très habile la forme qui est donnée à cette démarche.

Je remercie chaleureusement les éditions Michel Lafon et Livraddict pour ce partenariat qui a été l'occasion de découvrir un titre hors du commun!

Lien permanent Catégories : Urgences 6 commentaires

Commentaires

  • En un mot ? Wow ! Je crois qu'il faut que je le lise !

  • Contrairement à toi, je ne m'attendais pas du tout à cette fin !

    Pour le reste, je suis tout à fait d'accord avec toi.
    J'ai adoré ce livre, j'en suis sortie complètement bouleversée... et toute retournée.
    Pour moi cette lecture a été La lecture de l'année 2012. ;)

  • Entièrement d'accord avec ce qui a été dit plus haut, tu nous signes là un très bel avis qui ne peut que me donner encore plus envie de lire "Défendre Jacob" (déjà que la chronique de clédesol avait bien attisée ma curiosité, toi tu parfais la chose!).

    Bref, soit je finirai l'année avec ce livre soit j'en commencerai une nouvelle avec et ce sera sûrement très bon à vous en croire (hâte!) :)

  • @ Sol: Oui, celui-là aussi vaut le coup.

    @ Clédesol: Le meilleur de tout 2012? Je serais bien en peine de citer un titre, je crois... Mais il fait partie du top pour moi aussi.

    @ C'era: Un pavé contre un pavé, si je récupère Une place à prendre!

  • Ton titre me fait penser à une chanson de Balavoine : "mon slip à ma taille"...

  • @ Alex: D'humeur à faire des blagues aujourd'hui? C'est l'esprit de Noel ça... ^^

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