Buried feelings (Appli 'secrets')
Il fallait bien me réconforter du refus de mon collègue d'utiliser les écrans abandonnés par les exilés du télétravail pour égayer un peu nos locaux déserts en passant des films de Noël. Comment peut-on refuser un gosse semi-orphelin, un sapin géant scintillant, un père noël patron de PME incognito, une jeune décoratrice célibataire et un promoteur immobilier en pleine rédemption féérique en Alaska? Et leur préférer France Info avec des écouteurs. Je bosse vraiment avec des gens étranges.
Tant pis, je me suis auto-consolée avec un roman lesbien interactif. J'erre depuis des années - et mon sevrage des MMORPG - sur les plates-formes de jeux, à tout tester sans enthousiasme. Mais jusqu'ici je n'avais quand même jamais franchi la frontière de cette catégorie. D'ordinaire une Pryscylla qui hésite entre Kevin et Brandon. J'ai sauté le pas parce qu'une publicité mentionnait le tag LGBT+, tag qui est d'un usage rarissime dans les jeux. J'avais envie de m'amuser et puis j'étais curieuse. Je dois dire que c'était... une expérience.
Jeu-lecture dont le principe économique est assez commun. Une clé est offerte toutes les deux heures, qui permet de lire un chapitre. (quinze chapitres celui-ci). On choisit au départ entre trois personnages féminins (visuellement, hein, n'allez pas imaginer que l'on choisit un caractère, un vécu, non, uniquement des fringues. On ne choisit pas non plus la taille des seins, identique d'une fille à l'autre et supérieure à la moyenne).
Côté gameplay, c'est minimaliste. Des images de fond fixes (une plage, une grotte, un salon, une chambre, etc.) , un récit uniquement composé de dialogues, façon roman photo, avec à gauche et à droite de l'écran les interlocuteurs, dotés de différentes expressions. Le côté jeu est quasi inexistant. Certes, on passe son temps à faire des choix dans les dialogues, mais je soupçonne, sans avoir eu le courage de reprendre le récit au début pour tester d'autres parcours, qu'il n'y en réalité qu'un seul récit et que les pseudos-choix n'ont pas d'impact au-delà d'une ou deux interactions supplémentaires. J'ai eu l'impression que tout me ramenait au scénario pré-défini. Et la seule fois où j'ai été surprise de la possibilité offerte, je ne m'attendais pas à coucher avec une fille qui n'était pas celle prévisible. L'option sur laquelle j avais cliqué disait "discuter avec unetelle" ! J'ai alors préféré reprendre le chapitre au début et annuler mon infidélité non préméditée. Mais je suis presque sûre que le jeu m'aurait recadrée avec un "oups mais le lendemain j'ai regretté ce qui n'était qu'une curiosité de néophyte".
Il n'y a guère plus à dire du mécanisme de jeu sinon que pour faire un choix hors de la trame principale, il faut des diamants, qui se cumulent lentement à force de temps de lecture ou qu'on peut acheter en argent réel (modèle pay-to-accelerate, le plus réglo pour les jeux gratuits je trouve). J'ai utilisé deux fois seulement les diamants. Le cas cité plus haut. Et une seconde fois où moralement l'option de base me gênait. Mais je pense que l'évènement que je redoutais - agression sexuelle - aurait de toute façon été évité même avec l'option de base. Je n'ai juste pas voulu prendre le risque.
L'héroïne est donc une post-lycéenne, ou une pré-étudiante, qui s'apprête à entrer à la fac. En attendant elle part pour un weekend avec des potes au bord de la mer. Il y a trois plus-ou-moins-couples si je me souviens bien. L'héroïne que l'on incarne vient de se séparer mais l'ex est du voyage. Sa meilleure amie se dispute avec son mec, un autre couple va bien et il y a deux mecs célibataires, le bon copain et le connard qui va incarner l'opposant du récit.
Rapidement, l'héroïne se rend compte qu'elle en pince pour sa meilleure amie. Je n'aurais pas mis autant de temps à m'en rendre compte à sa place, entre l'ex masculin et elle, il n'y a pas photo. Je précise que, si j'ai choisi mon héroïne, ce n'est pas le cas pour les autres personnages qui étaient tous pré-définis. La photo de couverture du jeu prouvera que je n'ai rien prémédité. Pas ma faute si les perso en jeu ne leur ressemblent pas !
Ensuite elle hésite, l'autre est hétéro aussi, donc elles sont paumées toutes les deux etc. ça dure quelques chapitres, avec les empêchements qui vont bien, le mec jaloux qui veut les faire chanter, et puis happy end elles se tombent dans les bras. Ah non, pardon, désolée, c'était pas the end. Après il y a la fin du weekend et le retour à la maison et la crainte de l'annonce aux parents. Papa choqué mais compréhensif et maman choquée et qui va le rester un moment. Et enfin la happy end.
Ah non pardon désolée, c'était pas the end non plus ! Ensuite il y a l'entrée à la fac mais elles n'ont pas obtenu la même fac toutes les deux, alors moments de crises de couple d où doutes sur la longévité de leur jeune couple. Et puis enfin là, happy end. Ou pas. Je ne dis rien sur la vraie fin. ;)
Bon. Côté scénario, c'est du Harlequin, je ne me suis pas sentie volée et la pauvreté des propos a été bien étouffée par ma lecture toute en anglais. Avec l'avantage au moins de me faire pratiquer de l'anglais courant de tous les jours, entre amis.
C'était assez agréable, en fait, je dois l'avouer. Distrayant, stupide, à l'eau de rose, ce dont j'avais besoin en cette fin d'année de merde. C'était il y a un mois. Pas pu lire une page depuis.
Passons aux sérieux points noirs.
1 - Cette romance ciblée "lesbienne" n'a pas dû croiser beaucoup de lesbiennes au cours de sa conception. Je n'ajoute rien au sujet du physique des nanas. Après tout elles étaient hétéro. Et après tout c'est un jeu gratuit qui n'a pas vocation à militer pour la pluralité des représentations ou pour du contenu féministe. Et après tout j'ai pu choisir une héroïne noire et au final, tous les personnages, même les mecs, étaient dans ce genre : mignons et caricaturaux.
2 - Pire, ce scénario n'a pas dû croiser beaucoup de femmes, ça suinte le fantasme masculin, avec un apogée au moment de la scène de sexe. Cette fixation sur les tétons est un indice. Je crois qu'en français je me serais écroulée de rire. En anglais je me suis juste sentie embarrassée et j'ai passé en accéléré. Passer en accéléré les scènes de sexe, je vous jure... une hérésie. M'enfin les persos sont quasi des ados encore. Peut-être que ça aurait été moins gênant pour moi avec des femmes plus mûres.
3 - Les fringues. Vraiment pas possible. Toutes les trois secondes, du matin au soir, il faut choisir une tenue. Et je ne vous dis pas les tenues... J'ai gravement souffert.
4 - Je me suis beaucoup interrogée. C'est là dessus qu'on tombe, aujourd'hui, quand on se cherche, ado. Moi j'avais les vieux classiques et un ou deux essais récents piochés à la médiathèque, et l'émission ça se discute de Delarue pour découvrir ma "communauté". Quelle image donne ce jeu ? C'est bienveillant, parce qu'au final, les obstacles tombent, les homophobes sont vaincus, les parents survivent au coming-out et puis c'est un chouette jeune petit couple sexy qui se découvre. Mais c'est aussi... mmh je ne sais pas bien comment le dire. Bâti sur l'idée que la norme est ailleurs. Que c'est une déviation de chemin dont on peut s'accommoder. Que la tolérance l'emporte etc . Mais qu'il en faut, de la tolérance, du coup. Voyez ce que je veux dire ? Une sorte de "paternalisme" hétérocentré.