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le poids des mots

  • Vue sur mère

    arrache_coeur_vian.pngL'arrache-coeur, Boris Vian

    En 2011 j'ai redécouvert et enfin apprécié L'écume des jours, que j'avais lu bien des années auparavant, trop tôt. A ma satisfaction, j'ai retrouvé dans L'arrache-cœur le même débordement délirant de l'écriture, style reconnaissable entre tous qui mêle à un univers quotidien familier toutes sortes d'intrus.

    Comme ces mots forgés de toutes pièces mais dont on parvient grâce au contexte à saisir le sens potentiel. Certains passages - que j'ai oubliés, je suis impardonnable et le support livre audio ne me permet guère de feuilleter - étaient sublimes, pure poésie.

    Dans l'écume des jours, avec ce thème de la maladie dont je reconnais qu'il ne me met jamais à l'aise, mon plaisir n'était pas complet. J'ai été très surprise de l'orientation prise par l'Arrache-coeur, d'une part parce que j'ignorais tout du contenu, d'autre part parce que je ne l'ai pas sentie venir avant un bon moment, focalisée que j'étais sur Jacquemort, le psychiatre qui, au début du roman, arrive au village.

    Il se déclare né de la dernière pluie, quasiment au sens propre: il prétend être né l'année précédente et cherche des esprits à étudier pour remplir le vide de son être. Au premier chapitre, il pénètre dans une maison où une femme est en train d'accoucher, tandis que le mari, l'infâme fécondateur auteur de cette douleur infernale, a été puni et enfermé dans sa chambre.

    Ce sont trois bébés qui viennent au monde. Pas des triplés, non, des trumeaux :  2 + 1. Ce petit détail, ainsi que les prénom choisis, Joël et Noël + Citroën m'ont conquise. Après, c'était parti. Tout, le psy bizarre, les gens étranges au village, la foire aux vieux, le curé, ses prêches délirants et son combat contre le démon sur un ring... La barque de l'homme qui prend sur lui toute la honte des habitants. Les apprentis qui se prennent des coups parce que c'est la coutume. J'ai trouvé chaque passage génial, chaque personnage fabuleux.

    D'où ma surprise lorsque j'ai compris que le roman se recentrait sur les enfants et que la mère était le personnage central, en réalité. Une mère fascinante, brusquement prise d'une sorte de fureur maternelle, ou plutôt d'une obsession de se renvoyer à elle-même l'image d'une mère parfaite. Ce qui semble, dans son esprit, être synonyme de sacrifice. Des sacrifices absurdes. Et d'un empressement morbide à imaginer ce qui pourrait leur arriver de pire, avec pour prétexte de les en protéger. La fin du roman décrit l'escalade de cet amour exponentiel.

    Un thème fort, parmi d'autres, qui vient clore superbement le texte. Comme dans l'écume des jours, il y a matière à réflexion sur notre société presque à chaque page.

    L’œuvre est riche, si vous ne connaissez pas Boris Vian, c'est le moment de faire montre d'un peu d'audace et de sortir des sentiers battus.