Dans la forêt, Jean Hegland
Imaginez que la fin du monde advienne. Sans explosions, sans émeutes, sans hurlements, sans scènes de pillage, sans grands effets hollywoodiens. Un film catastrophe presque sans catastrophe, où vous suspendez simplement quelques secondes votre lecture au coin du feu pour remarquer que les choses ne sont plus comme elles étaient.
La civilisation s'écroule mais vous n'êtes pas sous les décombres. Vous êtes à l'abri, à l'écart, au calme. Dans la forêt. Idée déroutante et pourtant réaliste car quelle que soit l'ampleur d'un événement mondial, il se trouvera toujours quelque part des individus isolés du reste du monde pour l'ignorer.
Ils se sont installés là pour le cadre de vie, ils y élèvent leurs deux filles. Ce ne sont pas des marginaux, ils travaillent en ville, à quelques kilomètres de là. Si les filles sont, petites, éduquées à la maison, elles ne sont pas pour autant cloîtrées ni coupées du monde. A l'adolescence, l'une d'elle fréquente une école de danse, l'autre est toujours fourrée dans les livres et attend sa lettre d'admission dans une grande université.
Il y a beaucoup de douceur dans le portrait de cette famille, au début du roman. Elle fait rêver. Comme une photo parfaite, prise au meilleur moment.
Puis la mère meurt, d'une maladie il me semble. Puis la fin commence. Ce sont d'abord des pannes de courant, de plus en plus longues et rapprochées. L'énergie manque. Le père et ses deux filles suivent tout cela de loin, inquiets mais encore persuadés que tout finira par rentrer dans l'ordre. Ils font tout de même des réserves de provisions. Et lentement, la civilisation s'effondre. Les échos leur en parviennent.
Ce n'est pas l'essentiel du roman. A moins d'être un exécrable photographe, on s'arrange pour avoir le sujet au moins un peu dans le cadre.
C'est souvent, dans un récit initiatique, que l'on commence par priver le héros de tout. Il se retrouve généralement sans parents. Comme si on ne pouvait avancer qu'une fois tranchées toutes les racines. Sauf que là, elles sont deux.
J'ai adoré ce livre. Je ne l'ai jamais trouvé triste. Mais j'ai pleuré. Ce n'est pas une descente aux enfers ni un drame. C'est un retour à la nature, un dépouillement - une sorte de mue? - lent et inéluctable. Il n'y a qu'une scène de violence. Elle m'a bouleversée, par son contenu, mais aussi parce que d'ordinaire, dans le chaos, la violence est la norme. Là, elle arrive par surprise, brutale, au milieu de la paix. Elle éclate.
C'est un livre dont on sort en songeant qu'il y a encore beaucoup à dire. Sur le père. Sur les livres et la musique. Sur la dernière partie... mais je n'ai pas pour habitude de discuter de la fin des livres ici.