Le gai savoir, Friedrich Nietzsche
"Chacun sait maintenant que c'est un signe de haute culture que de savoir supporter la contradiction."
Pour la vision d'ensemble c'est raté, je vais laisser ça aux pros. Je suis plus douée pour les impressions vagues et injustifiables. Aussi ai-je envie de vous résumer ainsi ma lecture : à aucun moment je n'ai réussi, alors que j'avais vérifié avant, à me convaincre que ce type était d'âge - je veux dire d'époque - à mettre une claque sur les fesses de Zola. Il écrit comme s'il avait un siècle de plus (minimum) ! La forme du début, les aphorismes courts n'y sont sans doute pas pour rien, je pensais lire La Bruyère. Ce qui le rend tout aussi incompatible avec le portrait de lui que j'ai trouvé. J'aurais plutôt imaginé un Copernic.
Le plus bizarre c'est qu'en revanche, pour ce qui est du contenu, sans y comprendre grand chose, je m'en fais plutôt l'image d'une rock-star gothique, ou bien d'un punk, oui, une sort de punk anar' qui veut tout péter et qui méprise tous les vieux cons.
Finalement, l'endroit du livre où j'ai eu la première étincelle de compréhension, c'était quelque part où il disait en substance qu'on ne faisait pas assez cas des analgésiques. ( Ou était-ce des opiacés ? ) Bref, quelle que soit la citation exacte, un moment où j'ai pensé "Ah ! Tout s'explique ! C'est un jeune camé."
Bon. J'ai eu des petits moments de compréhension (quand n'importe qui aurait compris, soyons honnêtes). Le début, ça me gêne un peu de le dire, sonnait comme les posters que ma mère accrochait sur la porte à l'intérieur des toilettes : bribes de sagesse populaire, maximes, citations, etc.
"Avant l'effet, on croit à d'autres causes qu'après."
Elles ressemblent à un almanach, non, ces trois premières parties ?
Cela sonne comme un jugement de valeur mais ça n'en est pas un, j'aimais bien ces petites phrases simples mais pleines de bon sens, à méditer. Et pour ce qui est de Nietzsche, je suis trop loin encore de m'être fait un avis, justement parce que je n'ai pas réussi à assembler deux pièces ensemble. J'ai compris qu'il n'aimait guère les femmes (personne ne les a jamais aimées, remarquez, depuis le fruit, le serpent et autres dérives qui en disent long sur leur nature malveillante), qu'il avait un truc avec "le troupeau" et que j'étais à un poil de saisir ce qu'il pensait vraiment de nos instincts de groupes.
Mais je vais trop vite.
J'ai aimé qu'il écrive que l'instinct nous protège et que la conscience est parfois dangereuse. Et sa lecture un peu cynique de la morale, qui ne prône des vertus que pour en tirer un bénéfice, souvent au détriment du vertueux lui-même. Malheureusement, et c'est valable pour l'ensemble de l’œuvre, je ne sais pas toujours à qui attribuer certaines affirmations. Celles qu'il prend à son compte, celles qui sont des souhaits, ce qui relève de l'ironie. Je pense avoir fait grand nombre de contresens, quand j'avais l'impression de m'y retrouver.
Au début, le style de l'auteur, c'est un peu celui d'un journal intime dans lequel jeter en vrac des idées, des pensées qui fusent sur des sujets sans lien les uns avec les autres. C'était comme de lire mes propres notes. ça n'est utilisable par personne, souvent même pas par moi.
Quand j'étais encore en mode studieux, j'ai tenté de faire des liens avec le fameux thème de la force de vivre, j'ai relevé des passages comme "Vivre, cela signifie repousser sans cesse quelque chose qui veut mourir". Mais c'est vrai que c'est idiot, que ça a trop de sens pour avoir du VRAI sens. Que sans vue d'ensemble, ça ne sert à rien. C'était peut-être même cette phrase-là, dans nos WC.
Nietzsche lutte contre une attitude conservatrice. (Comme toute nouvelle génération). Il imagine une société sans argent. Il conseille au MEDEF d'avoir un peu plus de noblesse, d'ailleurs. Le panache, les étoiles dans les yeux, c'est un vrai truc, pour en imposer aux masses et les gouverner. Je suis d'accord, c'était bien dit.
Il se tape ensuite des envolées lyriques sur les femmes, sur la mer, sur la musique (deuxième partie je pense)... Témoignage d'ivresse, m'est avis. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'alcool. Peut-être plutôt de cette sensation d'euphorie qui suit une grosse crise de douleur. Paraît qu'il était malade, c'est écrit partout sur internet, ainsi que dans sa préface. Je connais bien cette impression. Comme l'explosion d'énergie qui suit une grosse période de stress ou de déprime.
Il donne des conseils matrimoniaux, dans des propos sexistes non dénués de clairvoyance. Il se moque des artistes vaniteux, de l'opéra...
J'ai lu, voyez. J'ai tout lu. Mais ensuite ... quoi ?
Dans la troisième partie, l'ivresse descend. On aborde des questions plus sérieuses. Du Darwinisme appliqué à la logique. Et tout ce qui a trait à la morale... sujet passionnant; Probablement là que j'ai le plus essayé de m'accrocher. Les sarcasmes dissimulés de-ci de-là ne m'ont guère aidée.
J'ai lu à ma femme le passage sur le danger du végétarisme.
Puis l'euphorie semble vraiment dissipée, les passages s'allongent et s'obscurcissent, j'entre dans la quatrième partie et là... fin des haricots. J'ai mes notes sous les yeux, elle tiennent en une colonne et n'ont aucun sens, qui est-ce qui a pris ces notes bon sang?! "Variabilité des opinions, sens à donner aux erreurs", "punk -> dégoût du travail", "besoin du malheur" , "proposition de revivre éternellement la même vie". Ah oui, je me souviens de ce passage, un de mes préférés ! Avec celui où "Dieu est mort", je comprends pourquoi il a marqué d'autres esprits que le mien, le ton était différent. Pour le coup, il y avait un peu de l'emphase de Zola. Un passage qui gagne à être lu à voix haute.
Dieu mort, qui laisse béant un nouvel espace de liberté (c'est ce qui m'est venu, je ne sais pas vraiment si c'était dans le livre)... j'aime cette idée. Et celle que toute chose, y compris la science, repose sur des actes de foi. Tant qu'il n'est pas question de religion, je suis une femme de foi. Je marche même sur l'eau.
C'était plaisant, en réalité, il n'y a que les étudiants et leurs bergers qui ont vraiment besoin de comprendre. Les autres (dont moi, quand j'accepte de lâcher prise), peuvent voguer librement dans la confusion et se contenter d'étincelles ponctuelles de lucidité ou bien de contresens qui font sens pour eux et de rêveries inspirées par les textes.
En résumé, passé le plan "vive la vie ! j'enlève ma chemise et je danse sur les tables" et les poussées de chansonnettes, eh bien, le monsieur une fois calmé et moi, j'ai senti que nous étions compatibles mais qu'il nous faudrait un sacré moment pour mettre les choses au clair.
"Peut-être cela faisait-il partie des intentions de l'auteur de ne pas être compris par n'importe qui."