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Etude du Polygame Solitaire de Brady Udall par Jocelyne

SOMMAIRE

Comment peut-on être polygame?

I - Une individualité incomplète
a) Une enfance blessée ou perdue
b) Désir d'être sous la protection d'un groupe
c) Une communauté qui rassure et tyrannise

II - La domination patriarcale
a) Dévalorisation des femmes
b) Exploitation
c) Un pouvoir féminin circonscrit
d) Le pouvoir patriarcal

III - Quelle est la position de l'auteur?
a) Une position critique
b) Ambivalence par des restrictions à la critique
c) Comment interpréter le dernier chapitre?

Conclusion

 

 

COMMENT PEUT-ON ÊTRE POLYGAME ?

 

Le "on" désigne aussi bien les hommes qui épousent plusieurs femmes que les femmes qui acceptent de partager "leur" homme avec une, deux, trois, quatre ou cinq "sœurs-épouses". Le roman de Barry Udall est une bonne façon de comprendre comment des individu/es en arrivent à accepter ce mode de vie "différent et pas comme les autres". Comme le dit l'auteur, cela arrive "plus facilement qu'on ne le croit" (p.46). Du côté masculin, c'est le personnage de Golden richards qui permet de le comprendre; du côté féminin, ce sont les personnages de ses cinq épouses, Beverly, Nola, Rose de Saron, Trish et Maureen. Pour chacun et chacune, l'auteur nous renvoie à des moments différents de leur passé, leur enfance ou leur adolescence; nous voyons alors comment leur individualité s'est formée ou plutôt comment elle n'a pas pu vraiment se former et est restée incomplète. Tel que me décrit l'auteur, le mode de vie des fondamentalistes mormons de la Vallée Vierge, dans l'Utah, me semble reposer sur deux piliers :

  • une individualité incomplète et un manque d'estime de soi

  • l'inégalité fondamentale entre les femmes et les hommes

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I. Une individualité incomplète

A) Une enfance blessée ou perdue

a) Golden

Lorsqu'à 19 ans Golden retrouve son père, Royal Richards, il lui dit d'une voix brisée : "Tu sais, Papa, je n'ai pas eu vraiment de vie jusqu'à présent" (p.196). Royal était en effet toujours absent, voyageant par monts et par vaux, et a fini par abandonner sa femme et son fils. La mère de Golden, incapable de vivre sa vie comme une individue autonome, est restée liée de façon masochiste à l'homme qui l'avait bercée d'illusions; elle s'est complu dans la souffrance et l'apitoiement sur soi, enfermant son fils dans son univers névrosé. Golden a donc vécu comme une sorte d'enfant sauvage : cloîtré dans sa chambre d'enfant jusqu'à 15 ans, non scolarisé, sans amis, presque débile, il devient à l'adolescence comme un monstre physique à cause de sa grande taille. Sa carrure aurait pu lui donner une certaine assurance mais au contraire elle l'intimide, et même lorsqu'elle devient un atout quand il se fait engager dans l'équipe de football du lycée, cela n'empêche pas Golden d'être "la cible de plaisanteries et de farces de toutes sortes" (p.59); et l'atout disparaît brutalement lorsqu'une blessure au genou stoppe net sa carrière de footballeur.

Si à 19 ans il décide de couper le cordon ombilical, c'est pour se réfugier auprès de son père dont il a trouvé la trace par hasard et qui entretemps est devenu riche, en ayant découvert un filon d'uranium. C'est là que Golden mérite ses prénom et nom, puisqu'il devient l'héritier d'une confortable fortune et qu'il se retrouve intégré dans une communauté de fondamentalistes mormons où son père s'est racheté une conscience. Il reprend l'entreprise de bâtiment de Royal, devient, malgré son jeune âge, membre du conseil des Douze apôtres qui régit la vie de la communauté de ma Vallée Vierge, engendre 28 enfants grâce à ses 4 épouses; mais pendant toutes les années qui suivent il ne manifeste aucune autonomie et se laisse porter par le désir des autres : "rien dans sa vie, ni ses mariages, ni ses enfants, ni son statut au sein de l'Église, n'était le produit de sa seule volonté" (p.406). C'est pourquoi il est désemparé lorsque, un chantier qu'il a accepté dans le Nevada, il rencontre Houila, une femme originaire du Guatemala : "pour une fois dans sa maudite existence, [il devrait] réunir le courage de se lancer, d'agir de lui-même" (ibidem); Golden n'a pas de capacité de réflexion, et encore moins d'auto-réflexion, jusqu'à ce que cette rencontre l'oblige un peu à se remettre en question, ainsi que le mode de vie qu'il a accepté jusqu'à présent.

Mais cette interrogation sur lui-même n'est pas quelque chose de positif pour lui. Attiré par Houila, il est déstabilisé d'abord parce qu'il ment à ses épouses et ensuite parce qu'il sent qu'il existe la possibilité d'une autre vie et d'un autre bonheur, qui cette fois ne lui seraient pas imposés par d'autres, mais que lui-même aurait choisis, comme un individu autonome . "Pour la première fois de sa vie on le laissait se débrouiller seul, sans les contraintes de l'Église et de la famille, libre de faire, de penser et de choisir ce qu'il voulait, alors que depuis sa plus tendre enfance on choisissait pour lui" (p.175). Mais il se sent perdu lorsque les contraintes communautaires ne sont plus là pour le guider et c'est précisément "son sentiment de liberté" (ibidem) qu'il rend responsable de sa déstabilisation et de son angoisse.

b) Trish

elle est la quatrième et la plus jeune épouse de Golden. Si celui-ci a eu une enfance de mort-vivant, Trish a eu une enfance heureuse. Avec son père, ses 6 mères et ses 36 frères et sœurs, elle faisait partie d'un groupe soudé qui la rassurait et lui donnait l'impression qu'elle avait de la valeur : elle était comme une princesse, la fille d'un patriarche "âgé de 62 ans lors de sa naissance, [qui] régnait sur six femmes et quarante enfants avec la bienveillance d'un roi biblique" (p.110). Mais son père meurt quand elle a 12 ans, et "l'étrange conte de fées" (p.585) se dissout quand sa mère l'emmène à Reno, dans le monde des Gentils. Là, elle n'a plus de repères, elle est désorientée par cette nouvelle vie mais elle n'apprend pas à être une individue, à réfléchir par elle-même, à prendre des décisions avec son libre arbitre. Elle garde la nostalgie du monde fermé et autarcique où elle était prise en charge et elle s'en remet aux autres pour lui montrer sa voie. Quand elle va à l'école, il n'est jamais question de son intellect, uniquement de son corps et de la capacité de séduction qu'elle se découvre. Dès que les garçons s'intéressent à elle, elle se laisse définir par son identité de femelle : puisqu'elle a vu dans son enfance les femmes être dépendantes d'un homme, elle se dit que c'est dans sa nature de se lier avec un garçon et, "conformément à l'éducation qu'elle avait reçue, elle fit ce qu'on lui demandait" (p.113). Mais de simples amourettes ne sont pas rassurantes et, lorsqu'elle cède à Billy, "ce fut en un sens un soulagement " (ibidem) parce que cela la remet entre les mains d'un homme qui va prendre soin d'elle et de son enfant.

Trish est l'exemple d'une personne formatée par un groupe, incapable d'imaginer une vie autonome parce que rien dans son enfance et son adolescence ne l'a préparée à devenir une individue : elle se définit uniquement par sa capacité de reproduction et son statut d'épouse et de mère, et lorsque son mariage avec Billy aura coulé et qu'elle rencontrera Golden, elle décidera de revenir dans son paradis perdu. "Reno n'avait été qu'un long crochet par un territoire gangrené, et elle était de retour dans un pays où elle se sentait à sa place, un endroit plein de femmes et d'enfants où l'on ne restait jamais sans compagnie ni distraction, un endroit où le bien et le mal étaient clairement définis"(pp. 119-120).

B) Désir d'être sous la protection d'un groupe

Que l'enfance ait été solitaire et plombée par le manque affectif ou qu'elle ait été pleine de monde et que sa perte ait généré un manque, la communauté des fondamentalistes donne à ces individu/es incomplets ou blessés l'impression de s'intégrer dans une nouvelle famille, qui va réparer "l'ancien moi abîmé" (p.119). c'est ce que ressent Trish quand elle accepte d'épouser Golden et c'est ce que ressent celui-ci lors d'une cérémonie, le Jour des Pionniers, à laquelle il assiste quelque temps après avoir retrouvé son père. En écoutant prêcher Oncle Chick (le Bon Samaritain qui a sauvé Royal du désespoir et l'a ramené dans la véritable Église du seigneur), Golden pleure et ses larmes évacuent et font disparaître l'existence misérable qu'il a eue jusqu'alors : "il comprend qu'il n'est plus le même; celui qu'il était, cet être en lambeaux, cet être lamentable qu'il ne savait pas autant mépriser, il vient de le rejeter" (p.208).

Outre cette impression de renaissance parce que Dieu l'a touché de sa grâce" (p.210), la famille mormone fondamentaliste donne à chaque membre l'impression que tous les autres l'aiment et le protègeront, comme le dit Oncle Chick lorsqu'il voit Golden déboussolé : "Nous veillons tous sur toi, tu comprends. Et moi comme tout le monde, je ferais n'importe quoi pour toi" (p.163).

Enfin, en entrant dans cette famille on commence une nouvelle vie qui a un sens clairement tracé : ce sens, plus n'est besoin de le chercher seul/e puisqu'il est donné par Dieu. C'est l'intense soulagement que Royal, le père de Golden, a ressenti lorsqu'il a rencontré Oncle Chick : "il avait répondu à l'appel de Dieu […] et s'était fait baptiser pour se consacrer au plan de salut incluant la sainte alliance du mariage plural, la seule voie qui permette à l'homme d'accéder au Royaume céleste" (p.195).

 

La famille fondamentaliste donne un sentiment de sécurité parce qu'elle est plus qu'une famille normale, elle devient un clan, une tribu, dont le nombre procure l'impression de force et de puissance. C'est ainsi que Beverly, la première épouse de Golden, porte aux nues la famille de Nels Jensen : "Nels avait une entreprise florissante, quatre épouses heureuses et dix-huit enfants qui habitaient ensemble une vaste demeure de deux étages équipée du dernier cri en matière d'aménagement et de mobilier" (p.303). La famille Jensen est riche, mais même dans la pauvreté un fondamentaliste mormon est persuadé que "la sécurité est dans le nombre" (p.351), comme "le vieux Ross Sudwerks […] qui n'avait jamais eu d'emploi fixe et qui était toujours sans le sou, mais qui avait cinq femmes et [on] ne sait combien d'enfants qui vivaient tous de l'aide sociale et de ce qu'ils récupéraient chaque jour dans la décharge" (p.350).

Cette impression de puissance peut rejaillir sur chacun des membres du groupe et c'est ce que ressent Golden le jour où il met en déroute un fanatique venu chercher noise à sa communauté (pp.168-170). Ce jour-là, il a cru être "Le Puissant et le Fort" que les fondamentalistes de la Vallée Vierge attendaient, le Sauveur "qui rachèterait leurs souffrances et les délivrerait de leur asservissement" (p.164). Bien sûr, c'était une illusion et Golden est le premier à s'en être rendu compte, mais "malgré tout, cela avait été un événement important dans [sa] vie" (p.170), qui avait rehaussait son estime de soi.

Le groupe des fondamentalistes permet aussi à ses membres de se croire dotés d'une valeur spéciale en tant qu'ils détiendraient la seule Vérité. Depuis que l'Église mormone officielle a renoncé à "la pratique sacrée du mariage plural" (p.164), eux seuls détiennent désormais "le Principe qui, un jour, changerait le monde et amènerait le Second Avènement du Christ" (ibidem). Etant désormais les seuls à vivre selon "les dures Vérités du Principe" (p.334), ils sont persuadés de posséder "l'autorité liée à la prêtrise, l'ancien pouvoir biblique exercé par les hommes de Dieu comme le Prophète (…] qui parlait directement à Dieu" (ibidem). La croyance absolue qu'ils détiennent la seule Vérité donne plus ou moins à chaque membre la certitude de sa valeur, comme le prouve l'ardeur prosélyte de Nels Jensen, qui presse ses frères de redécouvrir l'esprit missionnaire, de "ne pas avoir honte de la vérité" et "d'éclaire comme des chandelles sur une colline" (p.301).

 

Mais un groupe n'est jamais homogène et pour rester soudé il doit, lorsque des éléments déviants apparaissent, rejeter ces éléments à l'extérieur. c'est ce qui est arrivé à June Haymarket. Ce jeune homme a vécu dans "la plus grande communauté polygame des Etats-Unis et à 17 ans on l'avait chassé, arraché à sa famille pour le crime d'avoir écouté de la musique et fraternisé avec des représentantes du sexe opposé" (p.585). Chassé par son propre père, renié par toute sa famille, June a survécu et il se débrouille de manière autonome. Mais il veut construire un abri antiatomique pour se donner un sentiment de sécurité et pour avoir l'impression de créer l'enveloppe d'un foyer, parce qu'il se sent "seul, sans famille, perdu, sans savoir ce qu'il devrait être ni ce qu'il devrait faire" (p.588).

C'est parce que June a été aussi un enfant polyg qu'il peut comprendre la souffrance et la révolte de Rusty, le Fils n°5 de Golden, le fils de Rose de Saxon, l'épouse n°3. A 11 ans, Rusty vit "une existence misérable et chaotique" (p.131). Il souffre d'être noyé au milieu des autres enfants, "d'être coincé pour l'éternité avec une bande de trouducs qu'[il] n'aime même pas" (p.515), de n'avoir aucun espace pour exprimer une individualité singulière. "S'il y a bien une chose qu'un enfant polyg apprend, c'est bien qu'il n'est pas le centre de l'univers" (p.515), mais le compagnonnage forcé avec presque trois dizaines de frères et sœurs lui donne l'impression de n'être qu'un numéro anonyme ou un pantin enchaîné à tous les autres. "On aurait dit qu'ils étaient tous liés par un fil invisible […] et quand une personne voulait faire une chose ou aller quelque part, elle tirait tout le monde de son côté, mais une autre essayait de faire autre chose ou d'aller autre part et ainsi de suite, jusqu'à ce que tout le monde s'emmêle, trébuche et se débatte comme une bande de singes pris dans un filet" (p.359).

Dès qu'il le voit, June comprend parfaitement le désir de Rusty d'être remarqué et regardé. Le garçon a notamment l'impression, emprisonné dans ce filet de songes, d'être invisible aux yeux de son père. A 11 ans, il s'est seulement trouvé trois fois en tête-à-tête avec golden, lequel est incapable de comprendre que si Rusty a été découvert en train d'enfiler une culotte de fille, c'est peut-être tout simplement "parce qu'[il] a des sous-vêtements tout déchirés et que [ceux des filles] sont jolis, bien propres, tout ça" (p.145). Si Rusty déteste tant son père, c'est parce qu'il le rend responsable de l'absence de dialogue et de compréhension entre eux, et aussi parce que ce qu'il souhaite, et qui lui est quotidiennement refusé, est simple : quand Golden rentre à la maison, "un mot gentil […], un sourire, une tape sur l'épaule, et [Rusty] irait se coucher heureux" (p.289). Invisible aux yeux de Golden, Rusty l'est aussi, mais pour une autre raison, aux yeux de sa mère. Rose de Saxon n'a pas choisi la vie d'épouse plurale et cette vie la pousse peu à peu dans la dépression. elle n'a alors plus de force et de courage pour répondre à la soif de reconnaissance de Rusty et pour le protéger. Le garçon a déjà le sentiment de n'être qu'un numéro (et pas le meilleur) dans la fratrie et de ne pas exister singulièrement aux yeux de sa mère : "Est-ce si formidablement formidable d'avoir à faire la queue" pour [lui] parler ?", se demande-t-il quand il va lui rendre visite à l'hôpital; mais il est encore plus traumatisé le jour où on l'enlève à sa mère et à sa maison habituelle pour l'obliger à habiter dans la Vieille maison de Beverly, qui a institué un programme d'échange interfamilial. Quantité négligeable aux yeux de son père, abandonné par sa mère, rejeté par la plupart de ses frères et sœurs parce qu'il fait des histoires, qu'il est différent et qu'il pue des pieds, tyrannisé par Beverly qui entend bien mater "le terroriste de la famille", Rusty transforme sa souffrance en colère, en révolte et en désir de vengeance. Devenu son ami, June lui montre comment faire des feux d'artifice, et ces pétards deviennent pour Rusty un moyen d'exprimer sa colère : leur explosion figure une destruction vengeresse, leur bruit alerte et leur lumière peut révéler ce qui était caché; ce sont ces deux objectifs que Rusty cherchera à atteindre quand il découvrira la liaison de Golden avec Houila et qu'il voudra mettre en lumière le comportement hypocrite de son père.

Une communauté aussi fermée et conservatrice que les mormons fondamentalistes polygames ne peut donc fonctionner qu'avec des personnalités affirmées qui disposent d'un certain pouvoir et des personnes dont l'individualité est incomplète ou blessée et qui vont s'adapter pour tenter de réparer leur moi abîmé ou parce qu'elles ont appris à obéir sans discuter. Mais des personnalités non-conformistes ne sont pas tolérables et doivent être, comme June et Rusty, matées ou expulsées. "Il n'y a pas de place dans ce genre d'existence pour des garçons comme Rusty, des garçons incapables de dépasser les pulsions et les colères de leur âge, des garçons qui vivent trop dans leur monde intérieur" (p.588).

 

C) Une communauté qui rassure et tyrannise

La communauté des mormons fondamentalistes est donc comme une grande famille qui intègre les êtres solitaires, répare les "moi abîmés", donne la certitude que la vie a un seul sens et qu'on ne sera pas désorienté/e si on suit cette voie-là aveuglément. La récompense sera d'autant plus grande que le chemin est difficile.

Un des sens qu'on a trouvés au mot "religion" est le lien, le fait de relier les êtres humains entre eux. Les fondamentalistes mormons ont appliqué ce sens à un élément basique de la vie humaine, i.e. le lien par le sang : "épouser autant de femmes et engendrer autant d'enfants que le Seigneur le permettrait" à un homme (p.303) permet de constituer des grandes familles, des clans, où chacun/e se sent relié/e aux autres; de plus, la pratique de l'échange interfamilial (pratique que Beverly a adoptée parce que les Jensen l'avait mise à la mode) permet de resserrer ces liens entre les branches de la famille qui ne cohabiteraient pas sous le même toit; enfin, que des veuves avec enfants soient destinées à être intégrées dans d'autres clans pour ne pas être laissées à la rue permet la circulation entre différentes familles de la communauté : ce fut le cas des quatre "tantes" de Trish à la mort de leur mari, et ce sera le cas de Maureen Sinkfoyle, abandonnée par le sien et désireuse de rejoindre le clan Richards.

En contrepartie de ces avantages, appartenir à cette communauté exige de ses membres une obéissance absolue à ses règles, obéissance des hommes aussi bien que des femmes. "La patience, de même que le travail et l'obéissance, étaient les vertus [qu'Oncle Chick] prêchait, et là-dessus il ne convenait pas de discuter. Golden le reconnaît quand il déclare au vieil homme, sans pouvoir dissimuler le ressentiment qui perce dans sa voix :"Je n'ai jamais décidé de rien. Pas depuis le premier jour de mon arrivée ici." (p.161). Cette obéissance est requise dans le domaine le plus intime, celui des relations amoureuses et sexuelles, puisque les filles sont mariées sans qu'on leur demande leur avis; et si l'une s'avise de refuser elle fait scandale, comme Sylvie Anderson qui a refusé ouvertement d'épouser un mécanicien, copropriétaire du garage de la vallée (cf. p.203). Les premières femmes d'un homme sont aussi priées de ravaler leur amertume lorsqu'une nouvelle femme va partager la couche de leur époux : ainsi conseille-t-on à Trish de "s'habituer à l'idée de sacrifice" (p.281) quand elle apprend que Maureen a été pressentie pour être la cinquième épouse de Golden.

La raison de cette obéissance réside dans la priorité donnée à la communauté par rapport aux individu/es, et c'est bien ce qui a été précisé à Trish quand elle avait accepté d'épouser Golden : "la clé du mariage plural, lui avait-on répété plusieurs fois, consistait à éviter de considérer les choses d'un point de vue trop personnel" (p.281). Une fois cette condition acceptée, on doit accepter de sacrifier ses désirs ou émotions individuels dans des situations où l'intérêt du groupe ou de la famille est jugé primordial. Et comme il est primordial pour une famille fondamentaliste de s'agrandir en intégrant de nouvelles femmes fertiles et de nouveaux enfants, chacune des autres femmes ainsi que l'homme lui-même (qui pourrait regimber à l'idée d'une charge supplémentaire) doivent surmonter leurs réactions égoïstes et obéir au Principe. Comme Beverly le rappelle à Golden avec reproche : "Nous ne nous développons plus, et tu sais pourquoi ? Parce que nous ne respectons pas le Principe comme nous le devrions. Nous sommes devenus égoïstes" (p.280). Les sœurs-épouses peuvent se consoler en se disant qu'elles suivent le glorieux exemple de "Sarah, aux temps bibliques, [qui a sacrifié ses] désirs pour la gloire de Dieu et de Son royaume" (p.734).

Pour que les individu/es acceptent, même à contrecœur ou en souffrant, de sacrifier leur individualité à la communauté, il faut les avoir habitué/es dès le plus jeunes âge à révérer l'autorité et à se courber devant elle. L'autorité suprême émane bien sûr de Dieu, et comme celui-ci est omniprésent, omniscient et omnipotent, il peut connaître les pensées intimes et les actes cachés; rien ne peut lui échapper et par conséquent aucune transgression ne saurait rester inconnue, et encore moins impunie. Ainsi lorsque Trish, vivant à Reno avec sa mère, se perd dans le tourbillon des amourettes adolescentes, elle éprouve bientôt "le poids de la culpabilité" : "elle eut l'impression que Dieu la regardait, le Dieu d'autrefois qui régnait sur les grands pins et l'immense ciel pâle du Montana, et le soir, tard, […], elle Le priait de lui pardonner et sanglotait jusqu'à ce que, les yeux rougis, elle n'ait plus de larmes" (p.113). Pour éviter cette culpabilité, il vaut mieux choisir l'obéissance absolue : elle procure à la fois la paix de l'âme et la reconnaissance sociale…

Les hommes doivent également obéir au Principe et parfois cela peut leur coûter beaucoup. Golden par exemple ne peut avoir aucune intimité pour rester seul avec lui-même, et il n'a pas de chambre à lui dans aucune des maisons où habitent ses femmes ― on n'a "jamais vu un mari plural ayant sa chambre à lui, en théorie c'était ridicule, sacrilège presque […] : comment un mari pieux pourrait-il avoir quelque chose pour lui tout seul ?" (p.690)―. C'est pourquoi il prend l'habitude de se cacher dans la petite maison de poupée qu'il avait construite pour sa fille Glory; ou bien il savoure le fait d'être seul dans sa caravane de chantier, dans le Nevada. Mais cela ne peut masquer le deuxième pilier de la vie dans la Vallée Vierge : l'inégalité fondamentale entre les femmes et les hommes, et la domination des seconds sur les premières.

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II. La domination patriarcale

Dans le dernier chapitre du roman, a lieu le mariage entre Golden et Maureen Sinkfoyle, et à cette occasion Oncle Chick explique au couple "qu'il est du devoir sacré de la femme d'obéir en tout à son mari lequel, en retour, devra la protéger et subvenir à ses besoins" (p.731). Ce devoir sacré d'obéissance institue officiellement l'inégalité de la femme par rapport à l'homme : elle n'est pas son égale dans le couple puisqu'elle n'est pas capable de subvenir à ses propres besoins et elle dépend donc entièrement de son mari. Tout ce dont elle a à se préoccuper, c'est de lui donner le plus d'enfants possibles, de tenir la maison et d'élever les enfants.

A) Dévalorisation des femmes

Accepter cette inégalité contenue explicitement dans le mariage est possible parce que les femmes sont déjà intimement convaincues qu'elles sont des individues de second ordre et que leur destin doit s'accomplir dans la subordination et la dépendance. La preuve de cette infériorité (dont on cherche à persuader les filles dès le plus jeune âge) réside dans la différence des cérémonies religieuses pour les garçons et les filles. Le douzième anniversaire d'un garçon est important : "on recevait aussi la prêtrise, on devenait diacre et on devait […] commencer à devenir un homme. Le Prophète posait ses mains sur votre tête et vous transmettait le pouvoir de Dieu" (p.359). Mais les filles ne sont bien sûr pas traitées de la même façon. "Les filles, elles, ne recevaient aucun pouvoir et n'avaient pas droit à la prêtrise. Elles, leur anniversaire spécial, c'était huit ans, l'âge où on les baptisait. Pour l'Église, ça s'arrêtait là" (ibidem). Les filles sont inférieures aux garçons puisqu'il leur faut attendre huit ans que leurs âmes de créatures du seigneur soient complètement formées et qu'elles soient alors dignes d'être baptisées… Mais cela ne s'arrête pas là puisque la cérémonie suivante est celle du mariage, pour la fille devenue femme. Et que les femmes acceptent cette inégalité permet de reconduire dans toutes les familles la croyance que les filles sont naturellement destinées à la subordination et à la reproduction.

Cette dévalorisation est la plus frappante dans le cas de Trish : sa mère était la sixième et dernière épouse et n'avait réussi à "mettre au monde que quatre enfants, ce qui lui valait un statut équivalent à celui de bonne" (p.111). La valeur d'une femme est donc simplement liée à sa capacité de reproduction, mais en tant qu'être humain et individue elle peut n'en avoir aucune. La mère de Trish l'a bien compris : à la mort de son mari, elle a quitté la communauté et elle avertit sa fille que le seul désir d'un mormon fondamentaliste qui lui ferait la cour serait "d'ajouter une nouvelle génisse à son cheptel" (p.119). Trish est le pur produit de cette éducation qui enferme les filles dans un destin de reproductrice : persuadée que son corps ne doit servir qu'à enfanter et qu'en tant que femme elle ne peut s'accomplir que dans la maternité, elle sort traumatisée de la période qu'elle a vécue à Reno, où elle a dû vivre en dehors du cadre rassurant de la communauté. Mais comme on ne lui avait jamais appris à se respecter et à s'estimer en tant que fille et individue, elle n'a pas les armes pour refuser que les garçons et les hommes la regardent seulement comme un corps. La manière dont l'auteur raconte sa difficile adaptation au monde des Gentils, à Reno, me paraît d'ailleurs édifiante : alors que Tris voit sa mère travailler, alors qu'elle va à l'école et qu'elle peut donc s'émanciper intellectuellement, "l'une de ses premières et plus importantes découvertes fut celle de son visage séduisant" (p.111). C'est l'auteur qui choisit de laisser Trish se définir uniquement par l'apparence : avec l'aide d'une amie de sa mère, elle va peaufiner cette apparence de manière à "mettre le feu dans la culotte des garçons" (p.112). Alors que le physique de Golden lui avait permis d'être engagé dans l'équipe de football de son lycée et d'être dans une posture active, celui de Trish, et la conscience qu'elle en a, vont la conduire à être la poupée des garçons puis des hommes. tout en croyant "exercer les prérogatives que lui valait sa beauté", "elle laissera d'autres garçons lui dire ce qu'elle devait faire" (p.113). Il n'est pas étonnant qu'après trois fausses couches, parce qu'elle ne se définit que par son corps et son utérus, Trish ait l'impression que son corps est maudit et que sa solitude et son chagrin soient causés par "sa vanité et son égoïsme" (p.119).

 

B) Exploitation

 

Si les femmes n'ont pas d'autre valeur que celle de leur corps, que celui-ci soit utilisé à des fins sexuelles ou reproductrices, la conséquence logique est qu'elles peuvent être exploitées et dans la dépendance absolue des hommes. C'est le cas de presque toutes les femmes du roman, à un moment ou à un autre de leur vie.

Nola Harrison par exemple, l'épouse n°2 de Golden, était à 15 ans "une gentille fille, dotée d'un visage doux et honnête" (p.384); un soir, elle s'est retrouvée perdue dans le désert, "tremblant de froid, assoiffée, malade de peur et de honte" (ibidem). La première fois qu'un garçon l'avait invité à passer un moment seule avec lui, elle l'avait suivi, n'y voyant pas malice et éprouvant un petit frisson d'interdit. Elle comprit vite, dans sa voiture, qu'il avait l'intention de la peloter pendant que deux copains à lui se rinceraient l'œil. Nola s'était échappée de la voiture et les trois gars l'avaient plantée là, seule dans la nuit, à des kilomètres de chez elle.

La sœur de Nola, Rose de Saxon, l'épouse n°3, avait quitté la communauté pour suivre des études d'infirmière dans le Colorado; mais elle dut revenir pour soigner sa mère malade et à la mort de celle-ci, Rose avait perdu le droit à sa bourse et dépensé presque toutes ses économies. Et si "elle finit, comme avant elle sa sœur, sa mère et la mère de sa mère, en femme du Principe, en épouse plurale" (p.670), ce n'est pas parce que "tout avait été arrangé d'avance par le mystérieux et imprévisible Tout-Puissant" (ibidem), mais tout simplement parce qu'elle n'avait aucune formation qui lui permît d'avoir un métier et qu'elle n'avait pas d'autonomie financière. Le mariage dans ces cas-là n'est ni plus ni moins que de la prostitution légalisée et Rose n'est qu'une génisse de plus dans le cheptel de Golden. C'était aussi le cas de la mère de Trish, qui pendant des années a "lavé, cuisiné, récuré, balayé, épluché, soigné, sans [dire] un seul gros mot et [en faisant] d'humbles excuses, et tout ça […] pour vivre dans un wagon de marchandises et coucher une fois par semaine avec un vieux bouc et ses pannes de fonctionnement" (p.111). Sans oublier le statut de bonne qu'elle devait à ses seuls quatre enfants…

Ce statut de bonne est aussi celui de Houila, dont Golden est amoureux. Houila est l'épouse de Ted Leo (le propriétaire d'un bordel) et elle est par lui considérée comme sa propriété et sa domestique, à la fois parce qu'elle est une femme et parce qu'elle est immigrée : venant du Guatemala, elle dépend de Ted Leo pour sa survie et celle de son fils malade, qu'elle a laissé au pays. Les prostituées du Pussy Cat Manor sont aussi la propriété de Ted Leo, dont l'activité est tellement profitable qu'il fait construire un autre lupanar dans le désert du Nevada, construction réalisée par… Golden.

Être obligée de se prostituer pour survivre, c'est ce qu'a dû faire Beverly dans sa jeunesse. Elle n'avait presque pas de famille, son oncle a eu un accident alors qu'il travaillait au noir sur un chantier : "désespérée, elle avait choisi l'argent facile pour payer l'hôpital et acheter de quoi manger" (p.620). L'expression "choisir l'argent facile" dans la bouche de Beverly montre bien qu'elle a retourné la culpabilité contre elle-même; elle n'a pas conscience que c'est le système patriarcal où elle vit qui la persuade que vendre son corps aux hommes est en effet un moyen facile de survivre. Et puisque c'était elle la pécheresse, elle avait bien sûr considéré comme un sauveur l'homme qui, "grâce à son argent, son influence et son charisme d'aventurier" (p.620), l'avait amenée dans la Vallée Vierge ouù elle avait pu "figurer parmi les Elues" (ibidem). Cet homme était le père de Golden et en mourant, il avait transmis Beverly à son fils…

Entrer dans le cheptel d'un homme qui en échange vous entretiendra et vous redonnera un statut social valorisant, c'est aussi l'obsession de Maureen Sinkfoyle. Cette femme d'âge mûr vient d'être abandonnée par son mari (qui s'est enfui avec "une espèce de hippie [californienne] diseuse de bonne aventure" (p.160) et elle vit avec deux garçons adolescents, "de l'aide sociale et des dons de l'Église, dans une caravane" (ibidem). Mais Golden est un bon parti et Maureen sait "mettre en valeur son ample poitrine dans des robes moulantes" (p.161) pour vendre ses charmes; à la fin du roman, Golden l'épousera et lui assurera la sécurité en même temps qu'l rehaussera son prestige dans l'Église…

C) Un pouvoir féminin circonscrit

En échange de la subordination à l'époux et du sacrifice de leurs émotions personnelles que les femmes acceptent dans le mariage plural, et puisque le seul travail qu'elles font dans la vie est l'élevage des enfants et la gestion de la maison, les épouses se voient conférer le pouvoir domestique. Golden considère ainsi que Beverly "dirigeait la famille avec la précision et la compétence d'un maréchal" (p.163); elle est "le seul élément stable dans son existence [car elle ravale] sa colère et sa déception pour s'occuper de tout" (p.619), notamment de l'agrandissement de la famille par le choix de ses autres épouses : "c'était elle qui avait arrangé le mariage de Golden avec Nola ― et par conséquent avec Rose ―, puis qui l'avait plus ou moins obligé à épouser Trish. C'était son avis qui comptait, tant pour le mariage que pour à peu près tout le reste" (p.161). Mais c'est un pouvoir qui ne dépend pas que des femmes, il est accordé par les hommes et dans le cas où ceux-ci meurent (comme pour le père de Trish) ou s'enfuient (comme Richard Sinkfoyle), les femmes doivent être recasées dans d'autres familles où elles seront les dernières arrivées et où leur statut risque d'être subalterne. Beverly voit ainsi son pouvoir matriarcal diminué à la suite de l'accident mortel de Rusty, lorsque Golden décide de vendre la Vieille maison où Beverly régnait, et d'agrandir la Grande maison où vivent Nola et Rose. C'est dans cette dernière que Beverly et ses enfants vont alors venir habiter. "Beverly serait perdante sur toute la ligne. Non seulement elle perdrait sa Vieille maison chérie, mais aussi nombre d'avantages et de privilèges dont elle bénéficiait en tant que première et seule femme épousée légalement; elle deviendrait une réfugiée, une femme chassée de chez elle et contrainte de tout recommencer dans un environnement étranger et hostile" (p.679). Mais elle ne proteste ni ne tempête. Elle reste "assise sur sa chaise, muette et raide, les mains croisées sur ses genoux comme une accusée dans l'attente d'un verdict de culpabilité dont elle ne doute pas" (ibidem).

Le symbole caricatural de ce pouvoir domestique, ce sont les dizaines de pancartes que Beverly a placées dans sa maison, pancartes qui comportent "des suggestions, des avertissements, des rappels et des admonestations" (p.89). Elles signalent son besoin obsessionnel de "combattre le chaos, d'étouffer toute trace de paresse ou d'insurrection", de lutter contre "le fractionnement, le secret et le désordre" (p.88). Lorsque Rusty est obligé de vivre dans cette maison, il est sensible à cette atmosphère de tyrannie domestique, puisque dans sa chambre, au-dessus de la commode, une pancarte "lui fout les chocottes" (p.84) :

Le Christ règne sur cette demeure
Lui l'hôte invisible
De chaque repas
Lui qui écoute en silence
Toutes les conversations

 

D) Le pouvoir patriarcal

 

Le vrai pouvoir est bien sûr entre les mains des hommes ― ce qui parfois fait bien rire les femmes, qui considèrent qu'il s'agit "de l'un des grands mystères de Dieu : pourquoi, dans Son immense sagesse, avait-Il décidé de donner le pouvoir aux hommes ?" (p.316) ― et notamment de ceux qui participent au Conseil des Douze Apôtres (lequel est réduit à huit membres à l'époque du roman). C'est dans ce Conseil que sont prises les décisions qui intéressent la communauté et tous ses membres, par exemple la décision de marier Maureen à Golden, parce qu'il est "l'un des rares détenteurs de la prêtrise d'âge mûr connaissant une relative aisance financière en ces temps difficiles" (p.160). Mais il y a aussi un calcul caché dans la proposition d'Oncle Chick à Golden : Oncle Chick se fait vieux, il considérait Golden comme son héritier au sein du Conseil, mais Golden s'est relâché ces derniers temps "en ce qui concerne [ses] devoirs vis-à-vis de l'Église et [..;] Nels Jensen ne s'est pas privé de le faire remarquer" (p.172). Il y a ainsi au sein du Conseil une lutte de pouvoir entre Oncle Chick et Nels Jensen : celui-ci est plus jeune, il a l'ardeur d'un prosélyte et surtout il a une entreprise florissante, ce qui lui permet de verser "une dîme supérieure à celles de tos les autres réunies" (p.203). Il est donc une menace pour l'autorité de Chick et si celui-ci veut la conserver, il a besoin que son héritier, Golden, redore son blason; c'est le mariage avec Maureen Sinkfoyle qui agira dans ce sens : "cela augmenterait son prestige spirituel ainsi que son pouvoir et son influence au sein de l'Église" (p.281).

On voit clairement d'où vient le pouvoir des hommes au sein de cette communauté fermée : la richesse ― si Golden a pu entrer, "à l'âge encore tendre de trente-quatre ans, au Conseil des Douze en tant qu'apôtre de l'Église" (p.163), c'est parce que son père Royal était riche et lui avait légué une entreprise lucrative et un petit héritage" (ibidem), et qu'il avait été soutenu par Chick ― et par voie de conséquence la possibilité d'avoir plusieurs génisses dans son cheptel et une progéniture exponentielle… Une autre source de pouvoir vient de la parole et de la facilité à s'exprimer (en cela Nels Jensen est très doué) mais aussi de la force physique qui en impose. L'épisode un peu comique du "Puissant et Fort" le démontre. Dix ans plus tôt, Golden avait pu prétendre être "Le Puissant et le Fort", l'homme qui, selon la prophétie, devait être envoyé d'en haut pour mettre de l'ordre dans la maison de Dieu" (p.163); il pouvait être l'Elu parce " qu'il mesurait 1,95 m., qu'il était blond aux yeux bleus et qu'il s'appelait Golden" (p.164); Et Golden avait montré qu'il pouvait défendre sa communauté contre les forces du Mal lorsqu'il avait chassé Ervil LeBaron et son frère en démolissant leur voiture avec un manche de hache. Mais cela n'avait duré qu'un moment et le mirage s'était par la suite dissipé.

Un autre aspect caché et peu reluisant de ce pouvoir détenu par les mâles dans les communautés polygames est la concurrence qui règne de fait entre les hommes pour l'acquisition des femmes. La richesse et la force sont des moyens d'écarter certains candidats, mais c'est June Haymarket qui en révèle un autre lorsqu'il explique à Trish comment il a été chassé, à 17 ans, de Short Creek, la plus grande communauté polygame des Etats-Unis, pour avoir parlé à une fille qui n'était pas sa sœur et lui avoir donné un bracelet porte-bonheur. "Ça a été la goutte d'eau, je suppose. Les garçons, ils cherchent un prétexte pour s'en débarrasser et seuls les plus obéissants appartenant aux meilleures familles restent ― les Anciens ne sont pas idiots, ils savent qu'il faut réduire le nombre des concurrents dans la mesure où un seul homme peut avoir 15 femmes" (p.587). La sélection des mâles aptes à acquérir des génisses se fait donc par la vérification de l'obéissance aux règles de la communauté, et par conséquent le moindre petit signe de désobéissance peut causer la relégation ou l'exclusion. l'exemple de June montre aussi que sa propre famille ne l'a pas défendu pour pouvoir continuer à apparaître comme une des "meilleures familles", et la disparition d'un de leurs enfants est rendue possible, et peut-être indolore, par le nombre important d'enfants, ce nombre que Rusty, autre enfant relégué et stigmatisé, juge à bon droit "déraisonnable" (p.130).

Lorsqu'il ne s'exerce pas de façon autoritaire ou violente, le pouvoir des mâles est toutefois montré avec ridicule, comme lors des réunions du Conseil des Douze. L'exiguïté de la pièce, la lueur blafarde, le froid et l'humidité font qu'on "aurait cru être dans un cachot ou encore dans une cellule de moine ou de condamné à mort. Les hommes s'installaient autour d'une table de banquet branlante, les épaules voûtées comme si le plafond risquait de leur tomber sur la tête" (p.299). Après avoir évoqué les questions touchant à leur communauté et discuté des Écritures, ces hommes consacrent "le reste du temps à parler, ou plutôt à se plaindre ensemble des vies épuisantes et absurdement compliquées qu'[ils] menaient" (ibidem). En réalité, ces réunions sont d'une part "un prétexte pour échapper quelques heures aux épouses et aux enfants" (ibid.) et d'autre part un moyen de décharger sa bile et de se rassurer en compagnie de congénères ayant la même expérience.

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III. Quelle est la position de l'auteur ?

A) Une position critique

Comme un miroir qu'on promènerait, non pas au bord d'un chemin mais dans les différentes maisons où habite Golden ― les maisons de ses épouses, la maison de poupée de Glory, la caravane de chantier ―, le roman identifie le fonctionnement patriarcal de la communauté polygame de la Vallée vierge et montre les défauts évidents de ce mode de vie : inégalité et subordination des femmes ― que Royal justifie avec une mauvaise foi arithmétique, cf. p.198 ―, indifférence envers la promotion de l'individualité, voire lutte contre les non-conformistes; repli frileux sur des valeurs conservatrices ― Beverly veut mettre sa progéniture à l'abri des influences maléfiques du relativisme, de l'évolutionisme, du communisme, du féminisme et des hippies amoraux qui se faisaient passer pour des professeurs" (p.222) ―, hypocrisie vis-à-vis des Gentils. Parce que la polygamie est illégale et que l'Église mormone officielle y a renoncé, les fondamentalistes avertissent leurs enfants de "ne jamais parler à des étrangers de leur situation familiale […]; ils n'étaient pas censés mentir, leur expliquaient parents et professeurs, mais ils n'étaient pas censés non plus dire la vérité" (p.138). Cette double injonction contradictoire a de quoi perturber des enfants qui ne seraient pas trop disciplinés et qui réfléchiraient un peu ― comme le dit Rusty, "Allez donc vous y retrouver…" (p.138) ― et elle révèle la nature sectaire de la communauté : les fondamentalistes prétendent être "la seule véritable Église de Dieu sur la terre" (p.300) et avoir une relation directe avec ce Dieu, mais ils justifient l'obligation de ne pas faire trop de prosélytisme et de ne pas se faire remarquer des autorités par les persécutions qu'ils subissent. Quand l'apôtre Jensen demande si "Jésus aurait apporté sa Vérité au monde s'Il avait cédé à la crainte et au doute" (p.302), l'apôtre Lambson lui rétorque "qu'en dépit de toutes les choses merveilleuses qu'Il avait accomplies, il ne fallait pas oublier qu'Il avait fini par Se mettre dans un fichu pétrin" (ibidem). Ce pragmatisme hypocrite se vérifie aussi lorsque le patriarche d'une famille pauvre ne rejette pas les prestations sociales des Gentils pour nourrir sa ribambelle d'enfants, quitte à passer pour "la plus joyeuse bande de pique-assiettes qu'on ait jamais vue" (p.351)…

La plupart des personnages eux-mêmes reconnaissent que ce mode de vie ne les satisfait pas pleinement. Golden a le sentiment d'être un homme qui a échoué dans son objectif de créer une grande famille et de la protéger; il sait que sa vie actuelle est une imposture et il a envie de la fuir et de disparaître; il sent qu'il est malheureux depuis des années, "après ce qui avait peut-être été une renaissance et dix ans d'un bonheur étonnant" (p.312); mais il n'a jamais eu, avant sa rencontre avec Houila, "la lucidité ou le courage de l'exprimer comme simple vérité" (ibidem). Ce n'est sans doute pas un hasard si, dès les premières pages du roman, quand Golden rentre chez lui avec la peur de retrouver ses femmes et ses enfants, ceux-ci, pour jouer, se jettent sur lui en criant : "Tuez le zombie !" (p.16).

Les épouses sont elles aussi malheureuses, chacune à sa façon. Beverly, la plus âgée, est devenue tyrannique dans son obsession de lutter contre le désordre, de faire respecter la loi et de se purifier du péché qu'elle a commis des années plus tôt en choisissant "l'argent facile" de la prostitution. Nola, la deuxième épouse, cache sous des kilos en trop et "une attitude de clown" (p.387) la souffrance d'avoir été humiliée jeune fille et d'avoir perdu ses cheveux à cause des radiations nucléaires suite à un essai atomique dans le désert. Rose de Saron, sa jeune sœur, a vu son désir d'émancipation anéanti par le devoir moral qui l'a obligée à revenir soigné sa mère malade; quand ses tentatives de combler son vide intérieur par la lecture de romans à l'eau de rose échouent, Rose sombre dans la dépression et doit être hospitalisée. Les deux explications qui sont alors données à ses enfants peuvent les culpabiliser, eux, et notamment Rusty. La première est que Rose a besoin de repos, à quoi Rusty réplique : "Elle peut se reposer dans son lit. De toute façon elle y passe tourtes ses journées" (p.438), ce qui prouve qu'il a senti le mal-être de sa mère. La deuxième explication est, "entre autres, que [Rose] ne peut pas supporter tout l'amour que […] ses petits chéris [..;] lui témoignent en même temps" (p.515). Rose ne sortira de sa léthargie qu'en veillant sur Rusty après son accident, mais le désir de vivre une autre vie restera toujours en elle. Quand Trish hésite à partir avec June et qu'elle demande conseil à Rose, celle-ci lui répond, "les yeux brillants et les lèvres entrouvertes : Fais-le , Trish. Tu n'auras peut-être jamais une autre chance" (p.693); et son regard est "plus pénétrant, plus lucide que Trish ne l'[a] jamais vu" lorsqu'elle répète : "Ne réfléchis pas, Trish. Pars et ne te retourne pas" (p.694).

Des quatre femmes, Trish est la plus jeune, celle qui a le plus longtemps connu un mode de vie différent, mais celle qui souffre le plus de voir son envie de maternité condamnée : elle a fait trois fausses couches et désespère de ramener Golden dans son lit, au point qu'elle "lutte pour ne pas perdre la raison" (p.724). Elle se sent "une femme négligée, une femme méprisée" (p.211), vivant à l'écart et solitaire dans sa petite maison avec sa seule enfant, Faye, qui parle aux morts. Elle a encore des forces pour batailler et faire reconnaître ce qu'elle estime être son droit : elle va enfreindre "la Règle numero uno, à savoir que la femme ne doit pas aller vers le mari mais attendre que le mari vienne à elle" (p.471), pour retrouver Golden sur son chantier, dans le Nevada, et lui parler seule à seul. Mais c'est peut-être celle qui doute le plus, à cause de sa rencontre avec June Haymarket et de la possibilité de vivre avec lui une vie normale, où elle n'aurait pas constamment à sacrifier ses désirs.

June et Rusty sont les deux faces d'une même pièce; ils représentent la souffrance de tous les enfants polyg, exacerbée chez certains d'entre eux, ceux qui ont "un monde intérieur" (p.588), "une imagination fertile, un désir de bravoure" (p.673) et à qui leur colère permet de découvrir les mensonges et les tricheries derrière les apparences d'une famille heureuse. Tous les enfants polyg posent toujours la même question : "Pourquoi ne peut-on jamais faire quelque chose tout seuls ?" (p.515). La plupart, croyants ou disciplinés vont s'en accommoder avec le temps mais il y a toujours des enfants "désespérés" qui se sentent coincés dans un filet à singes et qui cherchent dans les maisons "des petites niches acres et poussiéreuses [où voler] quelques instants de solitude" (p.88). Une autre conséquence paradoxale de ce nombre déraisonnable d'enfants est qu'ils peuvent se sentir anonymes, de simples numéros invisibles, comme l'exprime le cri de rage et de douleur que Rusty pousse le jour de son douzième anniversaire gâché : "ON NE S'OCCUPE PAS DE MOI !" (p.441), cri que personne n'entend. Et puisqu'il faut s'occuper d'un nombre déraisonnable d'enfants, il ne faut pas promouvoir chez eux et elles l'épanouissement d'une personnalité trop individuelle, qui risquerait de déboucher sur une individualité trop particulière, trop) spéciale, laquelle risquerait de remettre en cause la cohésion du groupe, largement basée sur le conformisme. June a été exclu de sa communauté parce qu'il était curieux de ce "monde immoral" (p.222) qui existait en dehors du Principe : il écoutait de la musique, et notamment une chanson au titre évocateur ―"Breaking up is hard to do = Rompre c'est difficile ― et il a transgressé la règle de la non-mixité ―il a parlé avec une fille qui n'était pas sa sœur… Malgré elle, Trish est obligée de reconnaître que, dans le genre d'existence qu'elle a choisi, "seuls peuvent s'adapter ceux qui, fidèles à leurs convictions et disciplinés, obéissent sans discuter" (p.588); pour les autres il n'y a pas de place, ils seront relégués, matés, exclus, ou ils mourront, comme Rusty, du fait de leur souffrance et de leur colère.

 

Un autre élément me semble indiquer que l'auteur a une position critique. Il s'agit des quatre chapitres qui portent le nom des quatre maisons dans lesquelles vivent Golden et sa famille. Ces quatre chapitres (les n°5, 13, 23 et 35) se distinguent parce qu'ils sont écrits en italiques et qu'ils sont clairement rédigés par un narrateur externe et omniscient. Il y a d'abord l'injonction faite aux lectrices et aux lecteurs (dans le chapitre n°5) de ne pas se fier aux apparences de la famille heureuse : "Regardez bien et vous verrez : dans cette famille il y a des problèmes", puis "Approchez-vous, observez et vous ne manquerez pas de voir […]" (p.87). Par cette demande pressante l'auteur nous signale explicitement qu'il y a des choses à voir derrière la façade harmonieuse des familles et de leurs membres. Il ne faut pas se laisser abuser par les autres chapitres, où les faits, les idées et les émotions sont filtrés et déformés par les consciences des personnages. Du coup, parce que dans les chapitres en italiques l'auteur se pose comme tel, on peut remarquer certaines affirmations plus péremptoires et plus catégoriques. Dans la Vieille maison règne Beverly, qui "fait tout pour combattre le chaos, pour étouffer toute trace de paresse ou d'insurrection" (p.88) mais qui a une telle peur "du péché, de l'anarchie et du mal" (p.90) qu'elle en devient ridiculement despotique, comme en témoignent les dizaines de pancartes qu'elle a placées aux endroits stratégiques pour contrôler et rappeler à l'ordre (cf. p.89). Cette peur maladive du péché et cette croyance dans le regard omniscient de Dieu font qu'une de ses enfants croit que "ses saignements de nez spontanés […] sont la punition divine pour ses pensées impures et ses mauvaises intentions, raison pour laquelle elle est devenue une rapporteuse et une sainte nitouche dans l'espoir de mettre Dieu de son côté" (pp.87-88). Plus loin, il y a la Mère n°3, dont la vie intérieure est tellement réduite qu'on peut passer à côté d'elle sans rien voir : 'il y a si longtemps qu'elle ne demande rien, qu'elle n'a besoin de rien et qu'elle ne prend que ce qu'on lui offre; c'est l'histoire de tant de mères dans cette petite vallée ainsi que, d'ailleurs, dans le vaste monde" (p.90). Ailleurs encore, il y a Mère n°4 qui, lorsque son quatrième enfant est mort-né, a crié, hurlé, tempêté contre les trois autres épouses qui voulaient l'empêcher de donner une nom et une place au cimetière à son enfant; les enfants morts-nés, disaient-elles, étaient "des anges, des esprits trop purs pour les laideurs et les injustices de ce monde; ils appartenaient à Dieu et à Dieu seul qui les nommerait et les consacrerait comme Il le jugerait bon" (p.214). Cette croyance est clairement désignée comme "des absurdités" et Mère n°4 obtiendra finalement ce que son instinct maternel et son violent chagrin lui dictaient de faire. Dans une autre maison c'est le chaos qui règne, "le genre de chaos qui se reproduit à l'infini jusqu'à ce qu'il devienne une sorte d'ordre, un mode de vie" (p.395). La présence de dix-sept enfants dans cette maison, avec une seule mère pour les surveiller (Mère n°2, puisque Mère n°3 est un fantôme) explique sans nul doute que les murs soient crevés et défoncés, les fenêtres maculées de traces, les lavabos bouchés par les cheveux, les lits défaits, les pendules cassées, les ampoules grillées et tous les endroits de la maison jonchés de bouts de papier, de jouets cassés et d'objets non identifiables (cf. p.394).

Enfin, dans la maison de Poupée, "se cache le Père, comme d'habitude" (p.92). C'est dans ce repaire qu'il se réfugie lorsqu'il a besoin d'être seul et encore une fois l'injonction de l'auteur ― "Observez-le" (p.593) ― indique qu'il ne va pas être tendre avec lui. Ce n'est plus seulement le personnage de Golden que nous sommes invité/es à observer, c'est le personnage du Père tel que l'a créé le fondamentalisme mormon polygame (et toutes les sociétés patriarcales…). Le Père a "des choses à faire, des responsabilités à assumer" (p.94), mais quand il y en a trop et qu'elles entrent en conflit avec "un désir de libération, des rêves d'évasion" (p.93), ou un désir de solitude pour se retrouver lui-même, alors il n'y a plus qu'une solution, se retirer et se cacher. Et quand la responsabilité exorbitante que le Père a accepté d'endosser dans son rôle de père ― "se montrer fort, vigilant, ingénieux" (p.592) pour assurer la subsistance et la sécurité de quatre épouses et de vingt-huit enfants ― est menacée par des émotions rien moins qu'humaines ― "confusion, lassitude, panique, […] doute et, bien entendu, une ancienne peur à figer le sang" (p.593) ―, alors le Père demande de l'aide à l'oubli, à "un pot de confiture rempli d'alcool de contrebande" (p.593)… Le regard qui est porté sur lui dans les chapitres en italiques est tellement objectif qu'il faut bien admettre que "se cacher comme le fait [ce Père] est une autre forme de cette trahison qu'il pratique depuis longtemps" (p.598); et cette trahison va même jusqu'à rester immobile dans sa cabane quand il entend un véhicule étranger s'arrêter devant sa maison (après que Ted Leo, le mari de Houila qui s'est enfuie, lui a adressé des menaces très claires) : "en ce moment même, une de ses femmes et ses enfants courent peut-être un danger mortel […], mais est-ce qu'il se précipite pour les défendre, est-ce qu'il risque seulement un regard par la fente dans le mur pour voir ce qui est arrivé ? eh bien, non. Il remonte ses genoux sous son menton et les encercle de ses bras, comme pour se faire tout petit, et il s'avoue cette simple vérité : il est incapable de les protéger et il l'a toujours été" (p.600).

La lucidité de ce regard porté sur le rôle patriarcal du Père me paraît d'ailleurs entérinée par les vers de Robert Lowell mis en exergue au roman :

Un père n'est pas un bouclier pour son enfant,

et j'ajouterais : moins encore si ce père a endossé le rôle d'un Père-Patriarche pour réparer un moi blessé, dévalorisé, amputé et infantilisé.

 

B) Ambivalence par des restrictions à la critique

 

Si la vie plurale ne rend pas les personnages du roman heureux, loin s'en faut, on sent pourtant comme une ambivalence chez l'auteur, qui ne parvient pas à condamner franchement ce mode de vie illégal. Sans doute parce qu'il s'intéresse d'abord à l'humanité de ses personnages (et de ce point de vue il parvient à rendre de l'intérieur les pensées et les sentiments des trois principaux, un homme Golden, une femme, Trish, et un enfant, Rusty) et peut-être parce qu'il a, comme June le dit à Trish, "pratiqué" le mode de vie du Principe : c'est ce que semble indiquer la dédicace à Carol Hook Smith (sa mère ?) et à ses huit frères et sœurs. Trois points signalent selon moi cette ambivalence.

D'abord, les deux personnages qui doutent et qui auraient l'occasion de fuir ce mode de vie décident finalement de le conserver. Golden ne partira pas avec Houila ni n'en fera sa cinquième épouse (heureusement, elle a déjà trouvé une autre protecteur en la personne de Nestor…), mais il épousera Maureen Sinkfoyle, cette "étrangère" dont pourtant il n'aime pas la voix aigüe ― "une voix qui évoquait une feuille de métal qu'on déchire" (p.160) ― ni la poitrine plantureuse, simplement pour être à la hauteur des ses responsabilités d'Apôtre et de Père, et pour ressouder sa famille. Sans doute pour se racheter de sa faute envers son fils Rusty, qu'il a laissé glisser vers l'abîme, Golden a décidé de "supporter le poids du Principe" (p.206) parce que, comme le disait son père Royal, vivre selon le Principe, "c'est difficile et ça vous rend meilleur" (p.198). En décidant d'agrandir sa famille et d'en faire vivre tous les membres dans la Grande maison, Golden remet ses pas dans ceux des deux hommes qui lui ont servi de père, Royal et Oncle Chick, dont la philosophie était simple : "Quand vous avez à choisir entre un chemin facile et un chemin difficile, choisissez le difficile et tout se terminera bien" (p.159). Golden a oublié la réaction ironique que peut susciter cette règle de vie ― "Ça va mal pour toi ? Eh bien, tant mieux, félicitations : tu dois être sur la bonne voix" (p.160) ―, parce que pour continuer à vivre en tant que père, malgré son échec envers Glory et Rusty, non seulement il revient vers le modèle de ses pères terrestres, mais en plus il cherche à s'identifier au Père suprême ! En répondant à Trish que, s'il aime Houila, il ne l'en aime pas moins pour autant, elle, Trish, ainsi que ses autres épouses, Golden cherche à se persuader que son cœur à lui, son "cœur troublé et mensonger", "cette pauvre chose qui se serrait et battait de manière désordonnée à l'intérieur de sa propre poitrine", est à l'image du "cœur de Dieu, immense, accueillant et sacré, une demeure aux pièces innombrables, remplies d'une multitude infinie" (p.668), une demeure à la capacité d'amour illimitée. Et ce redressement moral va culminer dans un bref instant de bonheur, le jour de son cinquième mariage, lorsque la certitude monte en lui "qu'il peut faire cela, qu'il peut aimer et chérir ces femmes, ses épouses, et que son cœur est assez vaste pour les accueillir toutes" (p.732). Comme son père avant lui, touché par la grâce dans le désert, Golden se raccroche avec extase au Principe, "la seule voie qui permette à l'homme d'accéder au Royaume céleste" (p.195), et qui lui permette de devenir un patriarche honoré et influent dans le domaine terrestre…

De même, Trish ne peut évacuer sa nostalgie du "conte de fées" qu'elle a vécu dans son enfance (en tant que princesse et fille d'un patriarche biblique…) et renonce à une vie individuelle avec June, peut-être parce qu'il a été deux fois marqué d'infamie par une communauté polygame : la première fois quand il a été chassé de Short Creek et renié par sa famille, la deuxième lorsqu'il est obligé de quitter l'Utah après l'accident mortel de Rusty, dont les gens du coin le tiennent pour responsable ― "chaque fois qu'[il] sort, on [le] montre du doigt et on [le] dévisage" (p.683). Parce que Trish réussit enfin à avoir avec son mari des rapports sexuels qui pourraient déboucher sur une maternité (et pour rattraper le temps perdu elle en consomme aussi avec June…), elle accepte l'idée de la cinquième épouse, idée qui l'avait mise en rage quelques semaines plus tôt : "Oui, pourquoi pas ? Sur cette péniche pleine de monde, dans cette maison pleine de monde, elle menait la vie pleine de monde qu'elle avait choisie, une vie qui, par définition, devait être divisée et partagée encore et encore" (p.724).

Le deuxième point est que les quelques personnages qui ont fui le mode de vie fondamentaliste ne sont pas valorisés. De Richard Sinkfoyle, qui a quitté ses trois femmes et ses douze enfants, on ne saura jamais rien d'autre que les commentaires négatifs de sa femme ― il n'a jamais rien appris à ses garçons, même pas le bricolage (cf. p.603) ― et d'Oncle Chick : ce n'est qu'un "fieffé imbécile" qui s'est laissé séduire par "une salope blonde de vingt-cinq ans" (p.161) et qui sera "à jamais rejeté de l'Église car il [a] commis l'inconcevable : choisir la solution de facilité […], une jolie blonde, une vie agréable et insouciante sous le soleil de Californie" (p.162). De la mère de Trish qui, à la mort de son mari, avait quitté l'enclave polygame du Montana avec 80 dollars en poche pour aller s'installer à Reno, on ne sait presque rien non plus, même pas son prénom, sinon quelques détails qui semblent la désigner comme une mauvaise mère. Elle devient hôtesse de casino, elle s'émancipe et s'adapte très bien à sa nouvelle vie : "elle portait des talons hauts et des jupes, mâchait du chewing-gum, jurait de ne plus cuisiner et de ne plus servir que des plats préparés, et elle allait danser tous les samedis soirs avec ses collègues de travail" (p.111). Elle est partie avec ses quatre enfants mais on ne sait rien des trois frères et sœurs de Trish, et de Trish elle ne semble pas s'être beaucoup souciée puisque c'est une amie à elle, ancienne danseuse de music-hall, qui apprend à la gamine à s'habiller et se maquiller. La mère est absente lors des deux premières fausses couches de sa Trish et quand celle-ci l'appelle pour lui dire qu'elle va quitter son mari, la mère répond qu'elle ne peut pas la loger chez elle (elle vit avec un acheteur de bétail dans un camp de caravanes) et lui conseille d'aller se réfugier chez l'une de ses ex-"sœurs-épouses", mariée à un polyg dans la Vallée vierge…

Le troisième point est que les deux personnages qui le regardent d'un œil clairvoyant et critique, parce qu'ils en ont souffert de l'intérieur, à savoir Rusty et June, ces deux personnages disparaissent à la fin du roman, et leur parole ne sera plus entendue. Rusty meurt, en partie à cause du désir de vengeance contre son père, désir qui lui a fait perdre toute prudence dans la manipulation du pétard qu'il avait fabriqué. Mais il meurt heureux, car son agonie provoque une réconciliation générale de la famille, laquelle lui accorde désormais toute son attention, et le garçon devient ainsi "celui que même dans ses rêves les plus fous il n'aurait jamais espéré être : un brave garçon, un enfant à part entière, un frère et un fils chéri" (p.699). Quant à June, tenu pour responsable du drame par la communauté de la vallée, il décide de nouveau de s'exiler, et de nouveau seul, puisque Trish n'accepte pas sa proposition de partir avec lui. Et pourtant, ces deux personnages critiques qui ont mis en lumière les aspects les plus négatifs de la communauté polygame disparaissent en laissant des traces durables. Pour Rusty, ce sont les trois carnets de notes qu'il avait dissimulés dans un placard de sa chambre, et que Golden et Trish liront. Dans ces carnets il a exprimé sa souffrance et sa colère d'être une enfant-numéro auquel on ne fait pas assez attention, et ses longues listes, ses gribouillages, ses intrigues et ses aventures rappelleront toujours à Golden qu'"ils étaient tous coupables, la famille entière, restés sans réagir pendant que Rusty glissait vers l'abîme" (p.673). Quant à June, il laisse son empreinte génétique, lui l'excommunié, puisque Trish portera son enfant; on peut considérer que c'est un pied de nez à la volonté de contrôle et au formatage des consciences qui caractérise les fondamentalistes mormons, puisque Trish vivra avec ce secret toute sa vie et que son enfant sera toujours, quelque part, différent/e…

 

C) Comment interpréter le dernier chapitre ?

 

En ayant à l'esprit les trois restrictions présentées ci-dessus, on comprend que la lecture du dernier chapitre, qui décrit le mariage de Golden avec Maureen Sinkfoyle, mariage avalisé par ses quatre premières épouses, en présence de sa nombreuse famille, laisse une impression mitigée :

 

a) certes il y a un élément final qui peut indiquer une prise de distance avec l'euphorie qu'il dégage. Si l'on se souvient que l'auteur nous a invité/es à observer de près et à aiguiser notre regard, nous pouvons remarquer que, quand ils sont tous réunis sous l'immense ciel de l'Ouest, "le père, les mères et les enfants […] se serrent la main, s'embrassent [et] s'étreignent peut-être un peu trop fort, comme s'ils voulaient se convaincre une fois pour toutes qu'ils sont […] une grande famille heureuse" (p.735). Dans ce "peut-être un peu trop fort", on reconnaît le désir de croire, la conviction extatique qui avait saisi Golden le Jour des Pionniers, quand il s'était senti reçu dans l'amour de Dieu et capable lui aussi de prodiguer un amour infini. On peut penser aussi que, parce que la grande famille heureuse est à la fois "la chose la plus merveilleuse et la plus impossible" (ibidem), il y a l'idée implicite que la conviction extatique d'un jour peut laisser place, quelque temps plus tard, à la déception causée par cette illusion : "l'illusion qu'ils constituent une famille heureuse et croyante, soudée pour l'éternité par l'amour et le devoir" (p.396).

 

b) Mais l'atmosphère de ce chapitre est quand même baignée de cette extase religieuse que Golden avait connue la première fois le Jour des Pionniers, ce jour qu'il appelle celui de sa « renaissance »

  • Ce que recherchent Golden et ses épouses est peut-être impossible, mais l'auteur présente leur foi comme touchante et exemplaire, et d'un certain côté efficace. Dans ce dernier chapitre en effet nous voyons que toutes les femmes qui avaient jusqu'à présent éprouvé du chagrin ou du mal-être sont peu ou prou guéries. Rose de Saron est transformée, elle est revenue à la vie en s'étant occupée de Rusty jusqu'à la fin et elle est revenue « bronzée après un été passé surtout dehors, [à mener la troupe des enfants et à travailler dans le potager familial » (p.733) : les enfants ne sont donc plus victimes de son absence ou de sa présence fantomatique et elle est redevenue une mère attentive. L'amour-propre de Nola a été réveillé par la rivalité avec la plantureuse Maureen, elle a déjà perdu dix kilos parce qu'elle a « déclaré que son objectif dans la vie consistait désormais à ne pas être la femme la plus potelée du clan Richards » (p.734). Trish est « radieuse du bonheur à sentir [une] jeune vie qui grandit en elle (p.733) : certes l'enfant qu'elle porte est de June, mais comme elle a repris des rapports sexuels fougueux avec Golden, elle ne court aucun risque que celui-ci se pose des questions ! Et même si Golden avait voulu utiliser des préservatifs, il ne s'étonnera pas que cette invention contre-nature n'ait pas été trop efficace ! D'ailleurs, il considère cette grossesse est « un miracle, un reproche divin face à ses désirs égoïstes » (p.733), lui qui par peur et manque de foi a voulu empêcher Trish d'accomplir sa fonction naturelle ! Du côté des enfants, même Faye, la fille de Trish, qui était perturbée parce qu'elle pensait trop à son petit frère mort et n'avait aucune sociabilité, a été « guérie » par la réunification familiale que Golden a imposée dans la Grande maison, puisqu'elle a trouvé son alter ego en la personne de « sa soeur et nouvelle amie Figolu » (p.682)... Il n'y a guère que le destin de Beverly qui dépare un peu le paysage, puisqu'elle a appris qu'elle avait un cancer des poumons. Mais même cette mort annoncée a du bon : d'une part on peut la voir (et je ne doute pas que ce soit la conviction de Beverly) comme le châtiment du péché qu'elle a commis dans sa jeunesse (se prostituer pour survivre) et du mensonge par omission qu'elle a accepté pendant des années; d'autre part Beverly décide de transcender son pauvre destin individuel au profit de la grande famille Richards : elle accepte la réunification de la famille dans la Grande maison (quitte à être dépossédée de ses privilèges et avantages), elle organise elle-même le cinquième mariage de Golden et elle a décide de consacrer le temps qu'il lui reste « à fzaire la paix avec les autres épouses pour s'assurer qu'après sa disparition la famille Richards poursuive sa marche dans l'harmonie et la vertu » (p.734). Il n'y a donc pas que le corps de Golden qui, après avoir été « si longtemps courbé par le poids de la tristesse et du doute » (p.732), s'est redressé par la force de la foi en Dieu..

  • Cette religiosité était déjà fortement présente dans deux chapitres précédent le mariage, celui où Rusty meurt et celui où Trish découvre sa grossesse. Ce dernier s'intitule Une vérité fondamentale, laquelle se résume ainsi dans la pensée de Trish : certes Golden veut utiliser des préservatifs en couchant avec elle pour ne pas avoir plus de bouches à nourrir et plus de responsabilités; mais Trish sait déjà qu'elle est enceinte, et c'est sans aucune peur qu'elle escompte la surprise de Golden lorsqu'il l'apprendra. Elle lui rappellera alors qu' « on ne contrôlait pas la façon dont [les enfants] naissaient ou mouraient. Ils arrivaient comme des miracles et vous étaient enlevés sans raison, et il fallait l'accepter comme une vérité fondamentale de l'existence » (p.727). Il est parfaitement cohérent que pour une mormone fondamentaliste la contraception ne soit pas quelque chose de naturel, mais, à la fin du roman, présenter comme un miracle le contournement du contrôle des naissances, avec un optimisme tellement béat et une telle conviction, revient à évacuer toutes le preuves précédentes que les enfants pouvaient ne pas être heureux dans ce genre de famille. Cet optimisme rend encore plus naturel et indiscutable la réduction des espoirs e Trish; après tout, « elle demandait juste ce à quoi elle aspirait depuis toujours : une caresse aimante de temps en temps, une famille à laquelle appartenir » (p.721).

  • Enfin le chapitre 40 de l'agonie de Rusty montre la mort du garçon presque comme une transfiguration. On a vu que l'amour prodigué par sa mère, les marques d'affection (sincère ou exagérée) multipliées par ses frères et sœurs et aussi ses camarade d'école, l'avaient inconsciemment métamorphosé en ce petit garçon aimant et bon qu'il rêvait d'être : il est donc finalement racheté et peut partir le cœur léger et l'âme en paix pour le Royaume céleste. « C'est une belle journée, le ciel est limpide, la chaleur ondoie comme de l'eau » et Rusty, « baignant dans la lumière cuivrée de fin d'après-midi » regarde « par la fenêtre derrière laquelle les morts, les milliards de morts l'attendent » (p.700). Mais il y a plus fort : jute avant de mourir, Rusty éprouve même le plaisir d'amour qu'il aurait pu vivre en tant qu'adolescent, et c'est sa tante préférée, Trish, dont il avait secrètement le béguin, qui va le lui procurer en faisant sa toilette. « Et un soir, […] comme si elle seule pouvait le comprendre, elle caresse juste comme il faut » et aptès que « tout [a ]jailli] de lui, son passé et son avenir, son âme même, il revient […] et il lui crie : Merci merci merci » (p.699). C'est là aussi une sorte de miracle, de victoire sur la vie juste avant la mort afin que Rusty ait pu connaître en un instant orgasmique « les chances qu'il n'aura jamais » et qu'il n'ait pas été privé de l'amour porté à et donné par une autre personne que sa mère !

 

L'ambivalence de l'auteur envers ce mode de vie « différent » finalement, la famille de Golden Richards est une famille parmi les autres, elle n'est différente que parce que toutes les familles dans le vaste monde sont différentes me paraît donc évidente. Elle ne signifie sans doute pas une adhésion pleine et entière à la polygamie et aux convictions réactionnaires des fondamentalistes mormons, mais elle s'explique sûrement par cette religiosité qui semble faire partie du mythe de l'Américanité. « Le ciel immense de l'Ouest » (qui apparaît d'ailleurs sur la jaquette de l'édition française) évoque le ciel immense des étendues désertiques du Moyen-Orient et de l'Arabie, où certains ont voulu voir l'origine des trois grandes religions monothéistes... Ce ciel immense où certain/es ne voient que la présence de Dieu explique la conviction, qui à mon avis imprègne le dernier chapitre, qu'il faut accepter tout ce qui vient du Seigneur, même les épreuves les plus terribles comme la mort d'un enfant ou sa propre mort (le cancer de Beverly), qu'il faut toujours garder la foi et que cette foi sauvera les croyant/es. L'extase religieuse de Golden peut sembler illusoire, mais l'élément qui indique cette possible illusion la famille s'étreint peut-être un peu trop fort est bien faible en comparaison de la religiosité et de l'optimisme qui caractérise les dernier chapitres. Dans cette perspective, le roman relaterait en fait une crise existentielle : Golden était un « zombie » dans les premières pages, sa vie lui semblait misérable et en morceaux, il avait échoué à rendre ses épouses et ses enfants heureux et à les protéger, mais la mort de Rusty l'a obligé à revenir dans le droit chemin. Ses doutes ont disparu, il n'est plus désorienté, il a renoncé volontairement à Houila (laquelle, comme je l'ai dit, ne semble pas trop en souffrir puisqu'elle a déjà un autre protecteur...), il a repris en main sa famille en imposant son autorité (ce que ses épouses, et Beverly en premier, lui demandaient depuis quelque temps), il suit de nouveau le Principe en épousant une cinquième femme, il va reprendre une place honorable à l'intérieur de l'Église et le nombre de sa progéniture va même augmenter grâce, ironiquement, à la semence d'un excommunié ! On retrouve la philosophie simpliste d'Oncle Chick : plus c'est difficile, mieux c'est, car cela prouve que tu es sur le chemin du salut...

La lecture du roman terminée, je n'ai pas compris tout de suite d'où venait le léger malaise que je ressentais en pensant à la position de l'auteur sur la polygamie. Cette étude m'a aidée à en cerner la cause, et la vision récente du film de Michael Cimino Le Chasseur de chevreuils (The deer Hunter, en français Voyage au bout de l'enfer) m'a laissé la même impression : ce film se termine par une réunion d'amis tous éprouvés peu ou prou par la guerre du Viet-Nam (morts, mutilations); il y a juste une femme (Meryl Streep) parmi ces hommes, son personnage a été inconsistant tout au long des 140 minutes du film, et pourtant c'est elle qui entonne God bless America, bientôt suivie par les braves Étatsuniens qui ont retrouvé leur home, sweet home... Personnellement, je garderai comme « morale » du roman des paroles que June prononce lors du premier vrai dialogue qu'il a avec Trish, lorsqu'il lui montre les grottes qu'il creuse par explosion pour résister aux radiations nucléaires. Il n'y a pas plus de sécurité dans le nombre de la famille plurale que dans "le plus bel abri antiatomique du monde" :

"Personne n'est en sécurité". Les paroles de June résonnèrent contre les parois rugueuses. "Aucun de nous ne l'est" Il contempla les ténèbres devant lui cependant qu'un lourd silence s'installait autour d'eux. (p.586)

J.A.C.

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